Fin octobre, en Provence. Je m’apprête à fouler pour la première fois les verdoyants fairways de Pont-Royal, l’unique parcours dessiné en France par le maestro Severiano Ballesteros. Il est 16h, les dernières parties se sont élancées il y a une cinquantaine de minutes et, même si le mistral semble d’humeur taquine, le soleil est au rendez-vous. Elle est pas belle la vie ?

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Par Franck Crudo

  • Dans la peau d'un amateur : le jour où j'ai battu mon record à Pont-Royal (2/2)
    Trou 10 - Photo : D.R.

Trou 10. On traverse la route pour rejoindre les trous du retour. Pont-Royal est un golf à l’américaine, ludique et varié. Le parcours est tantôt sauvage, tantôt encerclé par des maisons, ainsi qu’un village Pierre & Vacances. Des trous à birdie côtoient des trous où le par est un excellent score. Aucun d’entre eux n’est dessiné de la même manière.

RAS sur ce par 4 classique en léger dodleg droit, si ce n’est ce second putt poteau rentrant, ou plutôt virgule rentrante. Je sens que c’est ma journée au putting.

Sur ma carte de score : par

Trou 11. L’autre trou signature. Un par 3 de 190 mètres qui fout les jetons, avec un gros vent de face (évidemment), les Alpilles en toile de fond et un ravin accueillant entre le tee et le green. Lors de la conception du parcours, Severiano Ballesteros aurait tapé une vingtaine de balles du back tee (construit spécialement pour l’occasion) afin de déterminer précisément l’emplacement du green. Selon le sens du mistral, le choix du club peut varier du fer 7 au driver !

Je déglutis un bon coup avant de taper un bois 3 qui termine à une petite douzaine de mètres du drapeau. Je prends vite fait mes deux putts et m’enfuis, presque au pas de course, vers le trou suivant. Ouf, ma carte de score est saine et sauve ! Mine de rien, je commence à penser au record.

Sur ma carte de score : par

Trou 12. Un par 4 en légère montée. Je suis à +1 au bout de 11 trous, mais il ne faut surtout pas s’emballer. Ne pas s’emballer. Ne pas s’emballer… Raté, je lâche mon drive un peu à droite et voit ma balle s’enfoncer dans la forêt. Je ne quitte pas du regard le point d’entrée de la balle, mais arrivé sur place, impossible de la dénicher. Automne oblige, il y a des pommes de pins et des feuilles un peu partout. Comme l’heure est tardive et que je n’ai pas de temps à perdre, je décide de droper une balle dans la forêt, à peu près là où je pense qu’elle s’est échouée. Sans pénalité. Comme le soulignait Platon en son temps, l’esprit est plus important que la règle. Et au golf, je suis furieusement platonicien. Surtout quand il y a un score de folie en jeu. Et puis c’est vrai quoi, nous les amateurs, on n’a pas de marshalls ou de spectateurs pour nous dire où la balle est tombée.

Je me recentre sans dommages puis parvient à éviter le bosquet de chênes verts oublié par Ballesteros en plein milieu du fairway. Je prends mes traditionnels deux putts et m’en sors pas trop mal avec un bogey. Ne jamais s’emballer.

Sur ma carte de score : bogey (score réel : au moins triple bogey, voire disqualification)

Trou 13. Un court par 3, mais surtout des boules rouges (118 mètres). Des blancs, il faut compter près de 160 mètres avec un obstacle d’eau en défense et des bunkers sur les ailes. C’est l’une des particularités du parcours : ses quatre par 3 sont protégés par un obstacle et ne donnent aucun droit à l’erreur. Je retiens mon souffle et claque pas trop mal mon fer 6, vent dans le dos. Une ficelle plus tard, j’enquille un birdie dont tous les touristes de Pierre & Vacances se souviennent encore. Back in the business !

Décidément, mon grand putteur est en forme. J’ignore si c’est parce que je suis un gaucher qui joue en droitier ou si c’est parce que mon cerveau est dimidié, mais je n’ai jamais réussi à utiliser un putter classique. Zéro sensation, ma concierge putte mieux que moi. Du coup, je me sers du même type de putter que Bernhard Langer. Deux-trois fois par mois, sur un parcours, il y a toujours quelqu’un qui se sent obligé de me signaler que c’est désormais interdit. Comme je suis à cheval sur le règlement, je lui rétorque que c’est faux, c’est seulement le troisième point d’ancrage qui est prohibé.

Il y a quelques années, pour mon premier voyage à l’île Maurice, j’avais retrouvé mon long putter coupé en deux. Il n’avait pas résisté au voyage en avion et au doigté des bagagistes de Roissy. Le temps du deuil passé, j’avais fait le tour de tous les golfs de l’île dans l’espoir d’en trouver un. En vain. On m’a donc prêté un putter classique que j’ai utilisé pendant dix jours à la manière d’un long putter, en courbant complètement l’échine. A l’image de Quasimodo, ou même de Robert Garrigus quand il a emprunté le putter de son gamin pendant plusieurs mois parce qu’il avait de meilleures sensations avec. Dans ces cas-là, on a certes l’air un peu con. Mais c’est ça ou rajouter une bonne demi-douzaine de putts sur sa carte de score. Mon choix était vite fait.

Sur ma carte de score : birdie

Trou 14. Changement de décor jusqu’au 18 avec une dernière partie encore plus boisée et un parfum de lavande et de thym. Place à un court par 5 (455 mètres) très étroit et technique avec le practice à gauche et un bunker accueillant de l’autre côté, à la tombée du drive. Un bois 5, un hybride, un wedge et deux putts plus tard, je repars avec le par. On dirait du Ronsard.

Sur ma carte de score : par

Trou 15. Mine de rien je suis toujours à +1 et il ne reste que 4 trous, ce n’est pas le moment de déconner. Ne pas s’emballer. Ne pas s’emballer. J’arrive sur un joli par 4, étroit et taillé dans la forêt de pin d’Aleps. Je choisis un fer 9 pour mon deuxième coup, 115 mètres en montée. Sauf que ma balle dégringole direct derrière le green. Je me rends compte que j’ai pris mon fer 6 à la place du 9, une boulette que je fais 3-4 fois par an en moyenne. Je rejoue le coup, évidemment sans pénalité. Après tout, moi, je n’ai pas de caddy. Ni de spectateurs pour m’arrêter la balle quand elle sort du green. Je me retrouve avec un putt d’une dizaine de mètres en montée, pente droite-gauche. Pas facile. Je dépasse le trou d’1,50 mètre puis prends mon premier trois putts de la journée. C’est ballot, un point perdu bêtement.

Sur ma carte de score : bogey (score réel : au moins double bogey, voire disqualification)

Trou 16. Un par 4 qui tourne à droite et un green en entonnoir. Une approche à la Hunter Mahan version Ryder Cup, c’est-à-dire grattée, m’oblige à me contenter d’un nouveau bogey. C’est malin, je suis maintenant à +3 et il va falloir trimer pour au moins égaler mon record. En plus, c’est le crépuscule et on voit de moins en moins bien. Tout un symbole.

Sur ma carte de score : bogey

Trou 17. Un dodleg gauche de 340 mètres dont la difficulté principale réside dans son green, en forme de haricot, avec des pentes dignes d’Augusta. Je suis en deux sur le green, avec un putt capital de 8-9 mètres en (grosse) montée et une (grosse) pente de droite à gauche. Même s’il fait presque nuit, je prends mon temps et tourne autour du trou, tel le Tigre autour de sa proie. Je suis même à deux doigts de m’allonger sur une main à la manière de Camillo Villegas, mais comme je ne suis pas sûr de pouvoir me relever, je me retiens. Le dosage de mon putt semble bon, mais la balle peine à s’arrêter et dégouline deux bons mètres à gauche. L’heure est grave. Si je ne veux pas faire une croix sur mon record, je dois mettre ce putt. Il rentre, bord gauche. Je sers le poing dans la pénombre et l’indifférence générale.

Sur ma carte de score : par

Trou 18. Un par 5 qui vote à gauche, au cœur de la forêt. Manque de bol, j’ai visiblement (façon de parler) rejoint une partie de trois qui n’a pas encore joué le deuxième coup, alors qu’on ne voit plus grand-chose. En plus, l’un des types mouline quatre coups d’essais avant de taper. Avec un putt pour birdie qui s’arrête court dans la ligne et ma femme qui me téléphone juste après un double bogey pour me demander d’acheter une baguette, c’est sans doute le truc qui m’énerve le plus dans la vie.

C’est l’heure de vérité. Je balance un drive viril mais correct puisque je suis sur le fairway et le haut du plateau, avec un angle idéal pour le coup suivant. Le green étant trop loin et comme je n’ai pas le droit à l’erreur des deux côtés, j’opte pour mon hybride magique que je tope de façon ignoble… mais rectiligne. Je sens que j’ai franchi un palier à ce niveau ces deux dernières années. Mes coups loupés sont tout aussi répugnants mais bien moins pénalisants qu’avant.

Il me reste 80 mètres et le trou est lourdement protégé par un obstacle d’eau à gauche et un bunker à droite. La pleine lune me permet tant bien que mal d’entrevoir le drapeau. J’attends que le green se libère pour taper l’un des coups les plus importants de ma carrière, dans l’indifférence générale. Ou presque, puisque ma femme et ma petite fille de 9 ans et demi, qui reviennent du zoo de la Barben pour me récupérer, m’attendent sur les marches du club-house… en jouant sur leur portable. Ce sera donc dans l’indifférence générale.

Mon coup de sandwedge est droit, c’est l’essentiel, mais pitche 6 mètres trop court. Le putt à venir est en montée et on devine une forte pente droite-gauche, un peu comme sur le trou précédent. Pas évident. Je me dis que si j’attaque trop, je serai plus proche du bogey que du birdie. Et qu’égaler mon meilleur score constituerait déjà une excellente performance. Je putte… au moment même où ma fille se met à courir dans ma direction en me criant « allez papa ! ». Pendant ce temps, ma balle dévale la pente et dépasse le trou de 3 bons mètres. C’est pas possible ! Sophie me fait un remake de « La Petite Maison dans la prairie » alors que je joue l’un des putts les plus importants de ma carrière. En plus, ça sent le bogey à plein nez cette histoire.

J’ai été clairement gêné. Au tennis, dans ces cas-là, on n’hésite pas à remettre deux balles. Cela devrait être pareil au golf. Je décide donc, en tout logique, de rembobiner et de remettre une balle. Certes, j’ai pu voir la pente du coup, mais de toute façon, je vais assurer le par. Ma balle part, encore un peu trop vigoureusement, mais comme téléguidée tombe à pleine vitesse dans le mille. Birdie ! Je viens de signer une carte de 74 et de battre mon record. Soit seulement 8 coups de plus que le score de Severiano Ballesteros (66, -6) lors de l’inauguration du parcours en 1992. Quel pied, une journée inoubliable ! Je peux être fier de moi. Ce soir, c’est sûr, je vais bien dormir…

Sur ma carte de score : par (score réel : au moins bogey, voire disqualification)

Score final : +2 (score réel : au moins +10 et coulé dans du béton avec du goudron et des plumes)

Franck Crudo

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