La nature fut la première à façonner les parcours dont le plus célèbre demeure l’Old course de St Andrews en Ecosse. Puis vint le temps des architectes ; ces grands bâtisseurs de terrains de jeu à l’intention des golfeurs. Leur histoire et leur pratique singulière et complexe impliquent un savoir-faire unique, pour le moins méconnu et pourtant fascinant…

Le berceau du golf: St Andrews en Ecosse – Photo : D.R.

L’Old course demeure sans équivoque la référence aux yeux de cette confrérie. Les champions locaux qui s’inventèrent architectes s’en sont largement inspirés. Ainsi Allan Robertson, le premier professionnel de golf de l’histoire ouvrit la voie en 1842, aux quelques modifications qui eu lieu par la suite sur la « Vénérable Dame », et il créa en particulier le fameux « Road Hole » du 17. Au fil du temps, cette activité est devenue un métier à part entière comme en témoignent les 400 tracés réalisés par l’écossais Donald Ross (1872-1942) qui en fit un commerce rentable aux Etats-Unis. Les profils des architectes étaient à l’époque très hétéroclites. Ainsi le créateur anglais d’Augusta National dans l’état de Géorgie, Alister MacKenzie (1870-1934), fut d’abord médecin, notamment lors de la Première Guerre mondiale, ce qui lui donna par la suite l’idée d’intégrer de façon magistrale les techniques de camouflage. L’un des livres fondateurs sur le sujet « Golf Architecture » fut en outre rédigé par ses soins en 1920, suivi par le cabinet anglais composé de Charles Alison (1883-1952) et Harry Colt (1869-1951) qui publia la même année « Some Essays on Architecture. »*1 Les années 20 furent dès lors marquées par des réalisations brillantes à travers le monde et estampillées « Age d’Or de l’Architecture. »

Croquis de Crystal Downs (Michigan, USA) par le génial Alister MacKenzie

Jusqu’à une date récente, il n’existait pas de véritable diplôme dédié à cette pratique. La plupart des « magiciens » contemporains américains tels que Robert Trent Jones Senior (le Père de l’architecture moderne, décédé il y a près de vingt ans), Gil Hanse (le créateur entre autres du golf des JO 2016 à Rio) ou Tom Doak (quatre parcours dans le Top 100 mondial), sont tous sortis de l’Université de Cornell aux Etats-Unis avec une spécialisation en « landscape architecture »*2. Après leurs études, quelques-uns ont eu la chance de bénéficier d’un mentor ; le plus connu étant l’américain Pete Dye. Il débuta d’ailleurs lui-même sa carrière dans l’assurance-vie pour devenir l’un des praticiens les plus influents depuis les années 30 et le seul architecte actuel élu au « World Golf Hall of Fame », parmi les sept couronnés. Il forma entre autres les Américains Bill Coore, Jack Nicklaus, Tom Doak et même le double vainqueur du British Open, l’Australien Greg Norman.

Animés par une même passion dévorante, les premiers « explorateurs golfiques » n’ont pas hésité à construire des terrains sur quatre continents tel le Dr MacKenzie, quitte à s’aventurer jusqu’au Pays du Soleil Levant pour l’anglais Charles Alison qui y déclencha un véritable engouement puisque le Japon bénéficie toujours du plus important nombre de tracés (2.290) après les Etats-Unis.

A l’instar de leurs ainés, les meilleurs des contemporains sillonnent la planète à la recherche de la « terre promise ». Citoyens du monde, ils portent en bandoulière leurs carnets de voyage et possèdent une vaste connaissance des cultures. Jack Nicklaus ou sa société éponyme se révèlent les plus prolifiques avec 415 tracés répartis dans 45 pays depuis 1969.

D’horizons divers, la plupart de leurs clients s’avèrent célèbres et influents ; constituant un réseau unique à travers le globe. A leur écoute, les « maestros du design » doivent s’assurer de répondre à la finalité du projet, tout en restant en phase avec leurs convictions. Il leur faut donc développer une faculté d’adaptation substantielle sachant que la plupart de leurs employeurs ne maitrisent pas la lecture d’une carte ou d’un plan…

Adaptabilité également mise à l’épreuve lors de crises économiques ou de pressions environnementales particulières. L’utilisation raisonnée de l’eau ne constitue plus une contrainte, Dieu merci ! mais bien une nécessité. Quant à un petit escargot de 2 millimètres de long du nom de « vertigo angustior », il peut à lui seul contrecarrer les ambitions du Président des Etats-Unis (et auparavant celles du « Requin Blanc ») à Doonbeg en Irlande…

Golf de Doonbeg à l’ouest de l’Irlande – Photo : D.R.

Les sites dramatiques sont autant d’occasions de puiser dans la créativité de ces bâtisseurs, comme ce fut le cas de l’improbable Stone Eagle, niché dans les contreforts des montagnes de Palm Desert en Californie. Leur imagination galopante peut ainsi se manifester sous différentes formes. Un bunker flanqué au milieu du green du 6 à Riviera en Californie, correspond à l’idée géniale de feu l’américain George C. Thomas (1873-1932), ou encore les diaboliques « bancs d’église » présents dans l’immense bunker qui sépare le trois et le quatre à Oakmont en Pennsylvanie furent imaginés par le magnat de l’acier, Henry Fownes en 1903. Au Japon, l’idée ingénieuse du natif Seïchi Inoue au début du XXe siècle, de proposer des greens alternatifs en fonction des saisons répondait aux variations météorologiques. En laissant libre cours à leur imagination, certains, dont l’urbaniste provocateur anglais Desmond Muirhead, sont allés loin en inventant des trous en forme de sirène allongée (Aberdeen Golf Club en Floride) ou des greens en ile façon « Pac-Man » (Stone Harbor dans le New Jersey). Quant au français Robert Berthet, il a cherché en 1999 à reproduire le fort de Vallières édifié par Vauban lors de la création de neuf trous de formes géométriques au golf de Dunkerque dans le nord de la France.

Mais l’inventivité de ces créateurs est le plus souvent adossée à une philosophie sincère, susceptible d’évoluer au gré des expériences. Les défenseurs d’une architecture stratégique et non pénale favorisent la réflexion, la palette entière de coups à jouer comme en témoignent les « switchbacks » qui obligent à effectuer deux effets distincts (draw*3 et fade*4) sur le même trou.

Les « bancs d’église » du parcours d’Oakmont en Pennsylvanie – Photo : D.R.

Quant au « routing » ou itinéraire des parcours, il « confère un sens de connexion et de rythme au tracé » selon l’architecte anglais Tom Simpson (1825-1908) et dévoile une vision brillante du résultat final et de l’art d’enchainer les trous. Beaucoup découvrent l’emplacement des greens avant même de visualiser le trou dans son ensemble. William Flynn, le concepteur américain de Shinnecock Hills à New York, site de l’US Open masculin en juin prochain, excellait dans cet art d’appréhender le terrain.

Polyvalents, certains sont de talentueux cartographes, d’autres produisent de fascinants dessins et diagrammes tels l’anglais Tom Simpson et l’américain Mike Strantz (1955-2005). Il n’en demeure pas moins que la vraie difficulté réside dans le fait de réussir à penser en trois dimensions…

Dompter soi-même un bulldozer ou une pelleteuse s’avère également utile pour façonner à « sa main » le terrain. De solides connaissances en agronomie et en systèmes d’irrigation facilitent le choix approprié de l’herbe ; fonction de la nature des sols et du climat. Bref, pléthore de talents sont autant d’éléments déterminants à une réalisation d’envergure.

Aquarelle du parcours « Shore » à Monterey Peninsula (Californie) par son créateur, Mike Strantz

Quant aux collaborations éventuelles, « The Philadelphia School of Design » au début du XXe siècle, témoigne d’une période pour le moins révolue pendant laquelle les experts de cette discipline conversaient librement. Une coopération inédite de maitres-architectes qui aboutit à l’intraitable Pine Valley dans le New Jersey. Les collaborations de cette nature se révèlent de nos jours moins fréquentes, même si le cabinet de Bill Coore et du double lauréat du Masters, Ben Crenshaw, fait figure d’exception avec cinq golfs dans le Top 100 mondial.

Pour ce qui est de l’association homme-femme, elle a fait des merveilles avec le couple d’Alice et Pete Dye. La légende veut qu’elle soit à l’origine du green en ile du 17 de Sawgrass en Floride et qu’aucun tracé ne soit validé sans son accord final. L’entrepreneuse et championne américaine, Marion Hollins (1892-1944), a connu son moment de gloire architecturale en prouvant à Alister MacKenzie que le splendide 16 de Cypress Point en Californie se devait d’être joué en par 3 au-dessus du Pacifique. Quelques années plus tard, elle persuada Bobby Jones de recruter le même MacKenzie pour dessiner le parcours du… Masters. Peu de femmes se lancent seules dans l’aventure, d’anciennes championnes cosignent parfois certains tracés davantage pour des raisons marketing et financières que par pure vocation. Il en va de même pour les hommes, surtout s’ils sont toujours en activité sur les différents circuits professionnels. Seuls quelques-uns savent s’entourer et produisent généralement des parcours qui correspondent à leur jeu. Comme le dit très justement Nicklaus : « il faut avant tout pouvoir écouter dans cette profession », et il va plus loin : « Tiger Woods devra réaliser sept ou huit tracés avant de connaître le métier et de pouvoir en parler intelligemment » (Golf Digest, 8 mars 2009).

Le spectaculaire trou numéro 16 à Cabot Cliffs (Canada) dessiné par le duo « Coore & Crenshaw » – Photo : D.R.

Entre le rêve de créer le plus beau parcours du monde et celui d’en construire un qui traversera toutes les époques, les architectes, ces concepteurs géniaux, sont à l’avant-garde de ce sport. Face à toutes sortes de contraintes et « d’avancées », ils se doivent de proposer des tracés ludiques, stratégiques, cohérents, sobres et durables, et pourquoi pas de convaincre quelques néophytes de s’aventurer dans les arcades de cette profession captivante !

*1 Quelques essais sur l’architecture
*2 Architecture paysagère
*3 Effet de droite à gauche
*4 Effet de gauche à droite

Kristel Mourgue d’Algue est une ancienne joueuse du Circuit Européen, co-éditrice du Guide Rolex des « 1000 Meilleurs Golfs du Monde » et co-propriétaire du Grand Saint Emilionnais Golf Club