80 millions de golfeurs sur la planète dont 30 pour cent environ de femmes selon les pays. La gent féminine représente le segment de la population disposant de la plus rapide progression dans une industrie majoritairement en perte de vitesse. Semée d’embuches, leur idylle avec ce sport date à l’évidence de la fin du 19ème siècle. Ironie de l’histoire, leur ténacité et leur passion pour ce jeu leur permettent de se retrouver aujourd’hui allègrement convoitées.

Par Kristel Mourgue d’Algue

La journaliste américaine de Fox Sports, Holly Sonders – Photo : D.R.

Avant-gardiste et fervente « pratiquante » de la petite balle blanche, Mary Stuart (1542-1587), Reine des Écossais, fut accusée d’avoir joué à Musselburg en 1567, juste après… le décès de son mari, Lord Darnley ! Néanmoins à l’instar des professionnels masculins, les femmes n’avaient pas accès aux clubs dans les îles Britanniques et ce n’est qu’en 1867 que fut constitué le « Ladies Putting Green of St Andrews » en Écosse. Il s’agit là du putting green « Himalayas » situé près du club-house, initialement conçu pour les « distraire » tandis que les hommes arpentaient les fairways… Quelques années plus tard, en 1893, fut fondée la première association de golfeuses de Grande-Bretagne et d’Irlande, la LGU (Ladies Golf Union).

Mary Stuart, Reine des Ecossais et fervente « pratiquante » – Photo : D.R.

Aux États-Unis, Shinnecock Hills dans le New Jersey, site de l’US Open masculin de l’été dernier, fut l’un des cinq clubs fondateurs de l’Association américaine de golf (USGA) qui dès sa création en 1891, ouvrit ses portes aux femmes. Quant au Morris County Golf Club, il constitua en 1894, le premier club américain strictement féminin.

Le putting green « Himalayas » situé près du club-house de St Andrews – Photo : D.R.

Cependant, il fallut attendre plus d’un siècle et l’année 2012 précisément, pour assister à un tournant décisif à la faveur d’Augusta National Golf Club, dans l’état de Georgie, hôte du Masters au mois d’avril et premier Majeur de la saison. Sous l’égide de l’américain Billy Payne, Président pendant 11 ans (2006-2017), quelques femmes triées sur le volet purent pour la première fois de l’histoire fouler ce parcours d’exception : Condoleeza Rice (ancienne Secrétaire d’Etat américain), Darla Moore (magnat de la banque), Ginni Rometty (PDG d’IBM) et Diana Murphy (ancienne Présidente de l’USGA).

Cette décision mena deux ans plus tard, l’une des instances dirigeantes du golf, le R&A (Royal and Ancient Golf Club of St Andrews) à suivre la même trajectoire pour admettre sept femmes illustres en son sein: les anglaises, Princesse Anne (fille de la reine Elisabeth II) et Dame Laura Davies (85 victoires dont 4 Majeurs), l’Écossaise, Belle Robertson (vainqueur du British amateur en 1981), les Américaines, Renee Powell (deuxième femme afro-américaine à jouer sur le circuit de la LPGA) et Louise Suggs (1923-2015, l’une des fondatrices du LPGA), la Suédoise Annika Sörenstam (90 victoires dont 10 Majeurs) et l’inoubliable championne française Lally Segard (1921-2018, Présidente du Comité Féminin du World Amateur Golf Council de 1964 à 1994).

Dès lors, des golfs prestigieux de l’Open rota (les « heureux élus », hôtes de l’Open britannique lorsque celui-ci n’a pas lieu à St Andrews) tels que Muirfield, le plus ancien au monde (1744), et Royal Troon, se retrouvèrent deux ans plus tard, en 2016, contraints d’accepter également des membres du « beau sexe ».

L’année suivante, en 2017, le R&A entreprit de fusionner avec la LGU afin de joindre leurs forces.

Porté par cette « dynamique », le Comité Olympique suggéra en 2017 au golf de Kasumigaseki de suivre le même chemin que ces clubs sus cités, pour prétendre accueillir les meilleurs joueurs et joueuses de la planète lors des JO de 2020…

L’ancienne Secrétaire d’Etat américaine, Condoleeza Rice, arbore avec élégance la « veste verte » – Photo : D.R.

Au sein des instances fédérales, ce vent nouveau porta Diana Murphy à la présidence de l’USGA de 2016 à 2018, soit 20 ans après la célèbre Judy Bell.

En Europe, grâce à sa présidence du comité féminin du World Amateur Golf Council, Lally Segard, Comtesse de Saint-Sauveur, fut l’une des instigatrices des premiers championnats du monde féminins en 1964 que la France remporta d’ailleurs sous son capitanat avec Catherine Lacoste, Claudine Cros et Brigitte Varangot. Des présidentes emblématiques telles qu’Emma Villacieros de Garcia Ogara pour la fédération espagnole ou encore Marion Tannhauser pour l’EGA (European Golf Association) jouèrent un rôle déterminant dans l’accession des femmes à des postes clefs de ce sport. Aujourd’hui, 26% des dirigeants des grandes fédérations internationales sont des femmes. Chez les professionnels, l’Américaine Suzy Whaley a été nommée en novembre 2018, première femme présidente de l’association des professeurs américains (PGA of America).

Sans conteste, les femmes rayonnent à présent dans tous les secteurs ayant trait à ce sport ; de directeurs de club, à enseignants, commentateurs TV en passant par architectes. La championne et célèbre épouse de l’architecte américain, Pete Dye, Alice qui vient de décéder, est d’ailleurs créditée du trou numéro 17 en île du TPC Sawgrass en Floride, parcours qui reçoit le « 5ème » majeur le mois prochain. Selon l’un des meilleurs architectes actuels, l’américain Tom Doak « Pete détient une chance formidable d’avoir Alice à ses côtés pour confirmer ou infirmer ses choix et s’assurer de ne jamais forcer le trait » (The Little Red Book 2017).

Le célèbre trou numéro 17 de TPC Sawgrass; une idée d’Alice Dye – Photo : D.R.

Sur le plan du jeu et à l’instar des hommes, les femmes dans leur ensemble se sont considérablement améliorées au fil des décennies : techniquement, physiquement et mentalement. Devenues de véritables athlètes, elles se révèlent de plus en plus jeunes, telle l’Américaine Lucy Li qui réussit à se qualifier pour l’US Open en 2014 à l’âge de 11 ans. Bien entendu, disposant d’une masse musculaire moindre, elles ne peuvent générer autant de vitesse de clubs et donc autant de distance et de backspin. Les statistiques à l’issue de l’US Open 2014 à Pinehurst en Caroline du Sud se révélèrent éloquentes. A tracé égal mais avec presque 1,000 mètres de plus à affronter, les hommes ont réalisé 2,5 points de moins en moyenne, touché plus de greens en régulation réussissant plus de birdies et d’eagles (golfchannel.com, 20 juin 2014). Les femmes ne pourront donc jamais prétendre égaler le jeu des hommes ; le sujet n’est d’ailleurs pas là ! Si des championnes exceptionnelles comme Annika Sörenstam a souhaité participer à un tournoi masculin, en 2003 lors du « Colonial » à Fort Worth au Texas, 58 ans après le « phénomène » Babe Zaharias lors de l’Open de Los Angeles, elles l’ont fait afin de se défier elles-mêmes et de continuer à se fixer des objectifs toujours plus élevés. N’en déplaise à l’époque au fidjien Vijay Singh qui ne souhaitait pas qu’elle participe : « elle prend la place d’un homme » (ESPN.com, 14 Mai 2003), Annika affirma dans la presse : « Je veux me tester dans des conditions de pression extrême, cela me permet de garder ma motivation » (CNN, Living Golf 09 Octobre 2017). Cette volonté constante de se défier constitue l’essence même des meilleurs. De nombreux champions, tels le tennisman tchèque Ivan Lendlt, le plus grand basketteur de tous les temps, Michael Jordan ou plus récemment l’ancien quarterback des Dallas Cowboys, Tony Romo, ont tous cherché à braver ce jeu.

Évidemment, il reste une marge de progression tant chez les professionnelles que chez les amateurs. Chez les premières, subsiste une disparité criante entre les dotations des circuits masculins et féminins à travers le monde. Auquel s’ajoute un tour européen (LET) moribond et un circuit américain fringant mené d’une main de maitre depuis neuf ans par son directeur, Michael Whan (33 tournois à travers le monde retransmis dans 165 pays et une dotation de plus de 70 millions de dollars) contre 18 tournois et environ 12 millions d’euros de gains sur le LET. L’augmentation de certains tournois tels que la finale du CME du LPGA pour atteindre $5 millions représente sans conteste un pas en avant. Ou encore, la création du Vic Open la semaine dernière à Barwon Heads en Australie, occasion unique pour les proettes et les pros de s’affronter pour des prix semblables.

Annika Sörenstam face à « elle-même » lors du tournoi masculin, le « Colonial » en 2003 – Photo : D.R.

Quant aux amateurs, trop souvent intimidées, elles ont besoin d’intégrer des groupes afin de prendre confiance en leur capacité (Forbes, 23 mai 2018). Cependant, dotées de la plus forte croissance, elles « embarquent » avec elles le reste de la famille. Ainsi depuis quelques années, de nombreuses initiatives ont vu le jour telles que les « 18 birdies », plateforme marketing créée par la LPGA afin de connecter les femmes entre elles. Les « Girls Golf » a été cofondée par la LPGA et l’USGA pour encourager les jeunes filles à débuter ce sport. La Suédoise Annika Sörenstam et l’Américaine Nancy Lopez patronnent les « Women’s Golf Days » dans 52 pays depuis 2016…

Toutefois, l’AN Amateur Women’s Tournament en avril prochain, à Augusta National en Georgie, devrait constituer la plus grande caisse de résonance à venir. Un tournoi amateur sur 54 trous avec un champ restreint de 72 joueuses dont le parcours d’entrainement et le dernier tour auront lieu sur ce tracé mythique. Le dernier jour de cette compétition sera notamment retransmis pendant trois heures sur NBC Sports ; une portée considérable pour le golf féminin ! Selon Fred Ridley, le Président actuel d’Augusta : « Notre Club se doit d’avoir un véritable impact sur le jeu féminin. Nous souhaitons voir émerger des rôles de modèle » (Golf Digest, 12 septembre 2018).

Une fois de plus, Augusta National tiendra son rôle de précurseur et son impact promet de s’avérer sans commune mesure. Néanmoins, seul un agrégat de facteurs offrira un avenir lumineux pour les femmes telles que des actions ciblées vers les amateurs à travers le monde entier, des dotations professionnelles identiques à celles des hommes comme c’est le cas au tennis depuis 1973 ! Davantage de tournois mixtes afin de mettre en valeur la qualité du jeu des femmes, sans oublier une championne mondiale au charisme indéniable s’avèrent primordiaux. La jeune Américaine de 24 printemps, Lexi Thompson, pourrait endosser ce rôle en atteignant son vrai potentiel de numéro un mondial et ce sur plusieurs années pour avoir une incidence sur le long terme… Quoi qu’il en soit, charme, élégance et disponibilité font partie inhérente des femmes, ne les en dissuadons pas mais ouvrons leur la voie !

Kristel Mourgue d’Algue (KMA) est une ancienne joueuse du Circuit Européen, co-éditrice du Guide Rolex des “1000 Meilleurs Golfs du Monde” et copropriétaire du Grand Saint Emilionnais Golf Club