Posté le 7 novembre 2018 dans Golfs.
Dans la peau d’un amateur : le jour où j’ai battu mon record à Pont-Royal (1/2)
Fin octobre, en Provence. Je m’apprête à fouler pour la première fois les verdoyants fairways de Pont-Royal, l’unique parcours dessiné en France par le maestro Severiano Ballesteros. Il est 16h, les dernières parties se sont élancées il y a une cinquantaine de minutes et, même si le mistral semble d’humeur taquine, le soleil est au rendez-vous. Elle est pas belle la vie ?
Par Franck Crudo
Trou 1 golf de Pont-Royal, boules blanches. Pour le handicap 10 que je suis, l’objectif est à chaque fois le même au départ : jouer mieux que mon index, c’est-à-dire claquer un score à un chiffre. Et éventuellement, sur un malentendu, battre mon record perso établi à Courson il y a trois ans et demi (carte de 75, +3), un rêve éveillé où toutes mes balles semblaient téléguidées vers le trou. Comme si Dark Vador tenait le putter. Bref, le genre d’histoires qui n’arrive qu’un 29 février. Je ne sais pas pour vous, mais le golf a ceci de particulier que, malgré notre enthousiasme initial, on perd souvent quelques centimètres entre le tee du 1 et le green du 18. Ce jeu est aussi addictif que cruel et le fossé parfois terrible entre nos désirs et la réalité. Mais bon, après tout, on a bien chapardé une Coupe du monde et planté quatre buts en finale en ayant une occasion et demi. Donc, tout est possible.
Le tee du 1 à Pont-Royal est visuellement assez impressionnant, ce n’est d’ailleurs pas le seul. Le fairway de ce court par 4 vire rapidement à droite et semble se perdre directement dans la pinède. Dans le doute, je sors donc mon… driver. Bubba style. Quand j’entends le mot « stratégie », je sors mon revolver. Je n’y peux rien, c’est inné, quasi darwinien, mais j’ai l’offensive dans le sang. Je suis le général Nivelle de la petite balle blanche.
Mon drive passe au-dessus des premiers arbres, mais je n’ai strictement aucune idée du résultat final. Une balle plein milieu de fairway pas loin du green ou un écureuil décapité, tout est possible. En me pointant sur les lieux du crime, je me rends compte que ce n’était pas, mais alors pas du tout le club à jouer et qu’un long fer était plus approprié. Je cherche ma balle pendant une bonne dizaine de minutes, en vain. Après une courte concertation avec moi-même, je décide de retourner au départ pour m’offrir un mulligan. Après tout, j’ignore tout de ce parcours et notamment de sa tortueuse mise en jeu, ce qui m’évite toute forme, même insidieuse, de culpabilisation.
De retour entre les boules blanches et sachant qu’un fer 4 ou 5 suffit amplement ici, je choisis fort logiquement… mon bois 5. Une décision téméraire – pour rester positif – qui se matérialise par un hook dégueulasse (pléonasme) en direction du mont Ventoux. Balle perdue, ça commence bien. L’air faussement décontracté, je jette un œil torve vers le putting-green, puis la terrasse du club-house, histoire de voir si des témoins ont assisté à cette seconde forfaiture golfique. Bon, personne, c’est déjà ça. Comme je n’ai pas eu le temps de m’échauffer au practice, il ne me semble pas illogique de bénéficier d’un second mulligan. Mais promis, cette fois, quoi qu’il arrive, pas de replay possible. Y a des limites. En plus, à ce rythme, je serai au 6e trou quand la nuit va tomber.
Mon coup de fer 4 termine dans le rough à droite, tout près du fairway, un toboggan qui dégringole vers le green. De nombreuses branches m’empêchent d’attaquer le drapeau, perfidement collé à tribord. Du coup, je me coltine d’entrée un putt d’une vingtaine de mètres en montée, avec une belle pente latérale pour épicer un peu plus le truc. Autant dire que je signe tout de suite pour un deux putts. Comme je suis parti à la hussarde sans passer par la case putting-green, je tape vite fait deux-trois balles d’échauffement sur le green, histoire d’évaluer sa rapidité. C’est de bonne guerre. Évidemment pas en direction du drapeau, ce serait contraire à toute forme d’éthique golfique et j’ai des principes. Je tape enfin ma « vraie » balle qui termine à 1,50 mètres du trou. Pas mal. J’enquille, mission accomplie. Joli par pour commencer. Enfin… par pour commencer.
Sur ma carte de score : par (score réel : quadruple bogey, voire disqualification)
Trou 2 golf de Pont-Royal. Un par 3 de 160 mètres (135 mètres des jaunes) en contrebas, vent de face. En soi rien d’insurmontable, sauf qu’il est précédé d’un étang et cerné par des platanes tricentenaires. Avec, cerise sur le gâteau, un hors limite à gauche et derrière le green vers le Moulin de Vernègues, cet ancien relais pour diligences transformé en hôtel 4 étoiles.
Je tape un bon coup de fer 5 qui pitche à 6-7 mètres du drapeau, placé lui aussi dans un coin. « Birdie raté, bogey assuré » a coutume de dire mon vieux père dans ces cas-là. Pour ma part, ce sera un par. Sans mauvais jeu de mots.
Sur ma carte de score : par
Trou 3 golf de Pont-Royal. On passe à proximité de l’ancien chemin royal emprunté lors de ses parties de chasse par le « Bon Roi René » (1409-1480 pour les adeptes de Stéphane Bern) afin de rejoindre ce par 4 où il vaut mieux rater sa mise en jeu à gauche. Bon, dans l’absolu, il vaut mieux ne pas la rater du tout. Je croise la voiturette de Jérôme Lauredi, le directeur, que je félicite pour la qualité du parcours et notamment son aspect verdoyant. La plupart des golfs en France, même parmi les plus réputés, ont beaucoup souffert de cet été chaud et très sec, sauf Pont-Royal, en vert et contre tous. Il me confie que les fairways sont composés à 75 % de fétuque et à 25 % de ray-grass et que l’entretien du golf est une priorité. Les départs sont tondus comme des greens (ce qui est très agréable), 100 % pencross et, malgré la présence de la garrigue et de la pinède sur de nombreux trous, il est très difficile de perdre une balle, me précise-t-il. Visiblement, Jérôme sous-estime mes capacités dans ce domaine.
Après un drive qui, chose assez rare chez moi, fend le fairway en deux, le réveil de ce satané mistral m’oblige à surcluber un peu trop mon deuxième coup. Résultat, je dépasse de 5 mètres le green. Une approche à la Tiger Woods millésime 2015, c’est-à-dire une approche topée, me propulse à 6 mètres derrière le drapeau. Pas de miracle, le bogey vient sanctionner ma première erreur de l’après-midi. Oui, bon, ça va…
Sur ma carte de score : bogey
Trou 4 golf de Pont-Royal. Un par 5 au fairway large et plat, mais avec un hors limite à gauche et un ruisseau à droite qui nous tient compagnie jusqu’au green. Après une mise en jeu potable, le champ se réduit sensiblement. Je fais face à un obstacle d’eau (devant le green à gauche) lequel, pour la petite histoire, a été déplacé à trois reprises par Ballesteros, toujours perfectionniste, durant la construction du parcours en 1991. Manque de bol, mon coup de bois boit la tasse, ce qui ne serait peut-être pas arrivé si Severiano en était resté à sa première idée. C’est malin.
Je me drope à une cinquantaine de mètres du drapeau, mais ma balle disparaît complètement dans le rough. Du coup je « free » redrop et pose délicatement ma balle sur une touffe d’herbe. Après tout, la règle va bientôt changer à ce sujet, je suis juste un précurseur. Mon coup de wedge termine à 2 mètres du trou. Bravache, je regarde autour de moi, histoire de savoir si quelqu’un a pu apprécier le spectacle. Nobody, tant pis. Outre mon incroyable faculté à me trouver des excuses, le wedging a toujours été mon point fort… enfin, par rapport à mon niveau de jeu s’entend. Pour Tiger et Phil, c’est sans doute juste une blague. Mon long putter trouve le milieu du trou et arrache un par miraculeux.
Sur ma carte de score : par (score réel : au moins bogey, voire disqualification)
Trou 5 de Pont-Royal. Encore un par 3 vent de face avec une large étendue d’eau devant le green. Grattes et autres gourmandises du même genre déconseillées. Partant du principe qu’il vaut mieux être trop long que trop court, je tape un hybride qui est freiné puis dévié par le vent, flirte avec le lac et s’abîme à 4 mètres du drapeau. Mistral gagnant.
Ce rescue a changé ma vie depuis ce jour où la tête de mon fer 3 s’est détachée du shaft lors d’une séance de practice et a manqué d’éborgner le type qui se trouvait trois tapis derrière moi. On a tous un pote qui change de driver, de putter ou de séries quand il joue mal en pensant que c’est d’abord et avant tout un problème de matériel. Mon ami à moi, c’est Henri. Avec ses 5 ou 6 drivers et sa dizaine de putters des meilleures marques, Henri pourrait presque ouvrir un magasin. J’ai un bien meilleur contact de balle, notamment dans les roughs, depuis qu’il m’a généreusement refilé son hybride Mizuno. Merci Henri !
Je rentre mon putt pour birdie et pousse un hurlement primaire. C’est plus fort que moi dans ces cas-là, notamment quand il n’y a personne aux alentours : j’ai le birdie tonitruant.
Sur ma carte de score : birdie
Trou 6 golf de Pont-Royal. Pas grand-chose à signaler. Un court par 4 en légère montée avec des hors limites de chaque côté si on dévisse fort. Je prends mon bois 5 puis mes 2 putts comme on prend un ticket au guichet de la sécu.
Sur ma carte de score : par
Trou 7 golf de Pont-Royal. L’un des trous signatures. Un long par 4 qui vire à gauche à 90 degrés avec un panorama unique sur les Alpilles et la campagne provençale. Je ne tente pas le diable et joue subtilement la sécurité en déposant ma balle sur la partie droite du fairway. Bon, ça c’est la version officielle. En fait, je tente de couper le dodleg et les genêts par la gauche mais une rafale – à moins que ce ne soit un gros fade – repousse ma balle vers la droite du fairway. Volontaire ou pas, le résultat est le même : il y aura encore 195 mètres à parcourir jusqu’au drapeau.
Pour moi, qui lutte depuis le siècle dernier pour limiter les effets de mon draw naturel, c’est une petite surprise. Quelques jours auparavant, je pensais avoir trouver LE TRUC qui me permet de driver de manière à peu près rectiligne. Je n’ai pas fait le compte, mais LE TRUC qui permet de bien contacter la balle, j’ai dû en trouver 378 depuis le début de ma carrière : swing plus lent, swing plus rapide, swing ni trop rapide ni trop lent, backswing lent et downswing rapide, swing mécanique où l’on pense en même temps à son geste, swing instinctif où l’on ne pense à rien, swing plus vertical, plus horizontal, finish droit vers la cible, balle plus près du pied gauche ou du pied droit, on s’éloigne un peu de la balle, main faible, main forte, main plus près du corps, main plus basse, dos droit, plus ou moins incliné, bras gauche bien tendu du début à la fin, jambes plus raides à la Fred Couples ou pliées et bien ancrées dans le sol à la Jason Day, grip serré plus fort, plus court, on vise le haut de la balle, on vise le centre de la balle, on incline les épaules et la tête vers la droite, on relève la tête, on éloigne le club de la balle à l’adresse, etc, etc, etc.
Tous ces trucs ont marché. Une heure, un jour, une semaine… On s’emballe, on est dans la zone, on se dit que « ça y est, j’ai trouvé un truc, j’ai franchi un pallier », on se voit presque aux qualifs de l’Open de France, même à 47 balais, 10 de handicap et une technique de merde. Et puis patatras, y a toujours un moment où l’on redescend brutalement sur terre, où l’on déjoue pour la énième fois. Ce satané jeu est insaisissable, et malgré ça, on ne peut s’en passer.
Mon second coup finit dans le bunker. Pas de miracle, deux putts plus tard, je quitte le green avec mon bogey et mon couteau.
Sur ma carte de score : bogey
Trou 8 golf de Pont-Royal. Un long par 4 en dodleg droit cette fois. Lors de mon deuxième coup, ma balle finit sa course dans le bunker, tout près du trou (5-6 mètres à peine). Dans ces cas-là, j’ai pris pour habitude de frapper comme un bourrin en prenant un maximum de sable. Et ça marche, ma balle s’immobilisant à 1,20 mètres du drapeau. Comme j’ai vidé la moitié du bunker, je balaie un peu le green puis rentre le putt sans trembler. C’est quand même pas sorcier. Et moi, en plus, ce n’est pas mon métier. Quand je pense qu’Adam Scott a raté un putt de 30 cm à Saint-Andrews alors qu’il était en haut du leaderboard ou que Scott Hoch a caviardé 60 cm pour remporter le Masters. Sans oublier Kevin Stadler, incapable de rentrer 80 cm pour s’adjuger l’Open de France.
Sur ma carte de score : par
Trou 9 golf de Pont-Royal. Un par 5 tout droit avec enfin le vent dans le dos. Je ne sais pas pourquoi, mais depuis que je joue au golf, j’ai toujours l’impression d’avoir bien plus souvent le vent de face que dans le dos. J’assure mon second coup avec mon rescue magique car un lac, que dis-je un océan semble protéger le green sur la droite. Un bunker en forme de S a même été dessiné en hommage à Seve. Un coup de wedge au contact suspect – heureusement que c’est mon point fort – finit sa course deux petits mètres avant le green. Partant du principe qu’un putt raté donne potentiellement un résultat moins désastreux qu’un wedge raté, je prends le putter et parviens à me rapprocher suffisamment du trou pour assurer le par.
Sur ma carte de score : par
Score total à l’aller : +1 (score réel à l’aller : au moins +6, voire disqualification)
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