Posté le 11 juin 2020 dans Actualité.
Catherine Lacoste : « Je sortais souvent mon fer 1 du sac quand il y avait du vent »
Catherine Lacoste est une figure marquante de l’histoire du golf dans notre pays. Fille de deux champions, la golfeuse Simone Thion de la Chaume et le tennisman René Lacoste, fondateur de la célèbre marque au crocodile, elle se fait un prénom en étant la première Française à remporter un Majeur, l’US Open en 1967. Pour Swing Féminin elle revient, entre autres, sur son incroyable carrière.
Bonjour Catherine, ma première question est simple : où habitez-vous et quelles sont vos occupations désormais ?
J’ai passé la confinement dans le sud de l’Espagne, car j’habite depuis près de cinquante ans entre Cadix et Madrid. Avec Saint-Jean-de-Luz, ce sont les trois endroits où je passe l’essentiel de mon temps. Mon mari est guitariste classique, je l’aide à organiser un concours de guitare classique qui a lieu depuis sept ans à Puerto de Santa Maria, au nord de Cadix. Cet année, en raison de la crise sanitaire, nous avons dû l’organiser par Internet.
Vous jouez toujours au golf ?
Je ne peux plus hélas. J’ai une prothèse au genou et à l’épaule droite. Il y a trois-quatre ans, on m’a opéré de l’épaule et ça n’a pas marché, du coup on m’a mis une prothèse. J’ai essayé de rejouer, mais envoyer des balles à 80 ou 100 mètres maximum, ça ne m’amuse pas vraiment…
Ces opérations son liées à votre carrière de golfeuse ?
On n’a jamais pu me le confirmer. Mais ce qui est sûr, c’est que j’ai porté mon sac pendant des années et que ça m’amusait de courir dans les pentes, cela n’a pas dû aider…
Avec une mère championne de golf et un père champion de tennis, vous sentiez-vous prédestinée à devenir à votre tour une sportive de haut niveau ? Pourquoi avoir choisi le golf plutôt que le tennis ?
J’ai joué aux deux et j’ai pratiqué de nombreux sports enfant. A l’âge de 13 ans, je n’étais que 24 de handicap, je jouais peu au golf. Vous savez, ce n’est pas parce qu’on a des parents champions qu’on devient forcément une championne. Mes parents étaient des personnes discrètes, qui n’aimaient pas se mettre en avant. Papa était un bon joueur de golf, il était 6 de handicap. Il m’a donné beaucoup de conseils techniques, tout comme Jean Garaïalde. J’ai beaucoup progressé en jouant des alliances avec Jean. C’est lui qui m’a donné le putter lame qui m’a accompagné toute ma vie, un Golden Goose. A l’époque, je jouais mes parties d’entraînement en partant des boîtes arrières avec Bernard Pascassio, Philippe Mendiburu ou encore Dominique Larretche, ce qui faisait progresser tout le monde car les filles veulent prouver ce qu’elles valent et les garçons ne veulent pas se faire battre par les filles !
Vous êtes la première Française à avoir remporté un Majeur et la seule joueuse amateur à avoir gagné l’US Open, en 1967 à Hot Springs en Virginie. On vous en parle encore souvent ?
Ce dernier mois, j’ai dû faire trois interviews pour les journaux américains. Les Américains m’avaient même invité cette année à venir fêter les 75 ans de l’US Open. Il y a aussi un Français qui veut faire un film sur moi. Donc oui, on m’en parle encore souvent (rires).
Est-il vrai que lors du dernier tour de ce fameux US Open, vous faîtes une socket au trou n°16 et évitez de peu l’obstacle d’eau ?
Oui, comme quoi ça peut arriver à tout le monde. Mais ça ne m’a coûté qu’un point, j’ai fait une approche et deux putts et j’ai conservé la tête du tournoi avec un point d’avance, à deux trous de la fin.
Avant le dernier jour, vous meniez de 5 points mais les journalistes locaux vous ont rappelé que quinze jours plus tôt, un amateur était dans la même situation que vous à l’US Open masculin et qu’il s’est complètement écroulé le dimanche. Cela vous a perturbé ?
Non, pas vraiment. Il ne faut pas écouter les journalistes (rires).
Le tournoi gagné, vous téléphonez à vos parents en France. C’était le jour de l’anniversaire de votre père…
Oui, mais c’est maman qui a répondu. Elle était très émue et a eu du mal à parler pendant quelques secondes. Mes parents étaient forcément très fiers.
Pourquoi n’avoir pas voulu passer professionnelle, à 22 ans, après votre victoire à l’US Open ?
Je ne voulais pas m’expatrier aux États-Unis, car il n’y avait pas de circuit professionnel à cette époque en Europe et je n’aurais pas pu continuer à jouer en France ou avec l’équipe de France, qui me tenait à cœur. A l’âge de 25 ans, j’avais gagné tous les plus gros tournois amateurs et j’ai eu envie de faire autre chose, de fonder une famille.
Comment expliquez-vous que hormis Arnaud Massy, Patricia Meunier-Lebouc et vous-même, aucun autre Français n’ait gagné un Majeur ?
Parce que ce n’est pas facile de gagner un Majeur (rires) ! Il faut beaucoup travailler et il y a énormément de très bons joueurs dans le monde, le niveau moyen ne cesse d’augmenter. A mon époque, le niveau était déjà très élevé et les Américains étaient très forts, avec une autre mentalité que la notre. Là-bas, seule la victoire compte.
Votre père était surnommé « le Crocodile », qui est devenu l’emblème de la marque Lacoste, parce qu’il ne lâchait jamais sa proie. Du coup, la presse américaine vous a surnommé « le Crocodile Kid ». Vous aviez tous les deux le même tempérament, la même combativité en compétition ?
Quelles que soient les circonstances, papa ne se laissait jamais abattre. On avait tous les deux l’esprit de compétition On était accrocheurs c’est vrai, mais contre le parcours, pas contre les gens. Je n’aimais pas spécialement jouer en match-play d’ailleurs. Moi, ce qui me plaisait dans le golf, c’était de battre le parcours, les voyages…
Après votre victoire à l’US Open, vous avez déclaré : « Je peux mourir maintenant, car on se souviendra de moi comme Catherine Lacoste. » C’était important pour vous de sortir de l’ombre de vos illustres parents et de vous faire, si j’ose dire, un prénom ?
Bien sûr. Ma grand-mère me disait toujours que je ne jouerais jamais aussi bien que ma mère. J’avais des parents formidables. Mais ce n’était pas toujours facile d’être la fille de… et d’avoir confiance en soi dans ces conditions.
Outre votre victoire à Hot Springs, quels sont les meilleurs souvenirs de votre carrière ?
Il y en a quatre. Par ordre chronologique, ma première place ex-æquo aux championnats du monde par équipe, à Saint-Germain. Je n’avais que 19 ans et on avait battu les Américaines en plus. Ma victoire à l’US Open évidemment. Et enfin mes victoires en 1969 à l’US Ladies Amateur, puis au British Lady amateur. Maman l’avait gagné en 1927 et elle était présente ce jour-là, c’était magique.
Et votre pire souvenir ?
Mon élimination au premier tour du British Lady, juste avant l’US Open en 1967. A l’époque, il y avait une qualification sur 36 trous, puis on jouait en match play. Mais cela a été un mal pour un bien. Maman me disait que ça me permettrait d’aller plus tôt aux États-Unis et de me reposer un peu. Et elle avait raison.
Il y a quelques semaines, au golf de la Boulie, le directeur Jean-Franck Burou nous confiait que le record du parcours (61) était détenu depuis 1986 par Severiano Ballesteros, à l’occasion du pro-am précédent l’Open de France, et que vous étiez de la partie*. Vous vous souvenez de cette journée ?
Oh que oui ! Severiano était un grand ami, on était content de jouer ensemble. A chaque trou, je l’encourageais, je lui disais qu’il fallait qu’il fasse un birdie. Et les birdies, il les a enchaînés (rires) !
Est-il vrai que vous utilisiez régulièrement le fer 1 durant votre carrière ?!
Oui, je le sortais souvent de mon sac quand il y avait beaucoup de vent et qu’il ne fallait pas lever la balle. Un coup de fer 1, c’était comme un coup de fusil, c’était un club avec lequel on mettait peu d’effet dans la balle. De même, lors de ma victoire à l’US Open, j’ai utilisé le bois 2 au départ plutôt que le driver, car le parcours à Hot Springs était très étroit.
Quel était votre club préféré ?
Il y avait mon fer 1, mais aussi mon pitching-wedge que j’utilisais quasiment tout le temps pour les approches. Et puis mon putter. J’ai beaucoup travaillé le putting, c’est très important pour gagner un tournoi. J’étais très rarement en difficulté sur les petits putts de 1 mètre, 1 mètre 20.
Vous avez déjà réussi un trou en un ?
Jamais. Mais ce n’est pas bien grave, je n’échangerais pas un trou en un contre une de mes victoires (rires). J’avais une trajectoire de balle plutôt haute, qui pitchait beaucoup et pour faire un trou en un, il vaut mieux une balle qui roule.
Vous auriez dû utiliser votre fer 1 encore plus souvent !
Oui, je n’y avais pas pensé, mais pour un par 3, c’est rarement le bon club… (rires)
Durant votre carrière, y avait-il une joueuse ou un joueur que vous admiriez ?
Severiano Ballesteros. C’est un des plus grands joueurs de l’histoire. J’admirais son talent, son adresse, son inspiration. C’était vraiment un joueur fantastique.
Hormis le golf de Chantaco, dont vous avez été la présidente pendant trente-cinq ans, quel est votre parcours préféré ?
Hot Springs forcément (rires) ! En plus, je me souviens avoir dit à mes parents que le parcours me rappelait Chantaco. Les neuf derniers trous là-bas ressemblent aux neuf premiers à Chantaco : les fairways étroits, les arbres, les obstacles d’eau, la montagne autour…
Vous avez joué de nombreux Pro-Am, quel est le défaut le plus courant chez les amateurs ?
Chez les débutants, je dirais qu’ils ne regardent pas assez bien la balle. Sinon, d’une manière générale, les amateurs ne travaillent pas assez leur petit jeu, alors que c’est fondamental. Il faut s’entraîner deux fois plus au petit jeu qu’au grand jeu.
Pour conclure, pouvez-vous nous parler du fonds de dotation Porosus**, que vous avez créé avec d’autres membres de votre famille, et qui soutient notamment de nombreuses golfeuses françaises***
Nous l’avons créé avec mes enfants, mes neveux et mes nièces. Il s’agit de venir en aide aux jeunes talents du golf, mais aussi d’autres sports ou encore dans le domaine artistique. L’art est aussi quelque chose qui nous plaît beaucoup dans la famille. C’est important de soutenir les jeunes. Avec Patricia Meunier-Lebouc, Anne-Marie Palli et Nathalie Jeanson, nous nous réunissons tous les trois mois pour savoir quelles sont les joueuses que l’on peut aider.
Propos recueillis par Franck Crudo
Archive de l’Ina : interview de Catherine Lacoste après sa victoire en 1967
*https://swing-feminin.com/la-boulie-sur-les-pas-des-geants/
**https://www.fonds-porosus.org/
*** Marion Duvernay, Agathe Sauzon, Manon Gidali, Lucie André, Astrid Vayson de Pradenne, Camille Chevalier, Isabelle Boineau, Anaïs Meyssonnier, Marie Fourquier, Marion Ricordeau, Emilie Alonso, Céline Herbin, Justine Dreher, Inès Lescudier, Valentine Derrey ou encore Perrine Delacour.