Rédacteur en chef du Guide du Routard depuis près de 40 ans, Pierre Josse vient de sortir aux éditions Hachette « Chroniques vagabondes : Petit dictionnaire des insolites itinéraires d’un Routard ». Plus que des souvenirs, ce sont 80 tranches de vies classées de façon alphabétique qui racontent les anecdotes d’un globe-trotter au grand cœur épris d’aventures humaines. Rencontre avec un grand voyageur qui aux dernières nouvelles affichait quelque 107 pays au compteur …

  • En marge de ses voyages, Pierre Josse, le rédacteur en chef des Guides du Routard confectionne des enveloppes et des cartes postales réalisées dans l’esprit du mail art. - © David Raynal

Tout d’abord Pierre, êtes-vous un amateur de golf ?

En tant qu’ex soixante-huitard membre de la jeunesse communiste révolutionnaire, je dois dire que je n’ai pas vraiment eu jusqu’à présent l’occasion de m’intéresser au golf et à son univers. En revanche, j’ai été agréablement surpris de voir qu’en Irlande, un pays que j’affectionne tout particulièrement, les enfants peuvent jouer pour un prix dérisoire au golf dès qu’ils ont un moment de libre. Ils sont souvent tellement doués qu’ils  arrivent même à faire tout le parcours avec un seul club. C’est vraiment là-bas un sport très accessible et populaire, au même titre que le rugby ou le football gaélique.

Chroniques vagabondes, après 39 ans à la tête de la rédaction du Guide du Routard était-il le moment de faire un premier bilan ?

A un moment donné, on sent qu’il faut faire un bilan. En outre je suis en semi-retraite. Donc tout à coup, au lieu de faire 10 voyages par an, je n’en faisais plus que 5. Cela me laissait des plages importantes de liberté. Au départ, j’avais sélectionné 200 chroniques et on m’a dit, tu n’as que 340 pages de textes. Il a fallu faire des choix. J’ai intégré les aventures qui me touchaient le plus en termes de richesse de souvenirs et d’émotions. Il fallait aussi que j’arrive à un équilibre entre les pays et les périodes. Une des chroniques peut surprendre. C’est celle de mon passage dans la classe ouvrière quand j’ai travaillé quatre ans dans l’imprimerie en tant que rotativiste. Je me suis dit cela fait partie de ma démarche et de ma construction psychologique et professionnelle.

Avant de rentrer au Routard, vous avez eu un parcours pour le moins atypique. Pouvez-vous nous en parler ?

Je suis bac-3. L’école n’était pas adaptée à ma personnalité. Je suis rentré tout de suite  dans la vie active et j’ai fait très tôt mon service militaire à 18 ans. Avant de participer au Routard, j’ai été tour à tour enfant de chœur, décorateur-étalagiste, étudiant à l’université libre de Vincennes, instituteur en prison, ouvrier imprimeur, correcteur de presse pour les quotidiens, le Journal officiel et les Guides bleus. J’ai même pensé que je pouvais être cadre…

Photo : D.R.

A quel moment avez-vous rencontré Philippe Gloaguen, le patron du Routard ?

Aux Guides bleus, lorsque l’on m’a proposé de diriger techniquement la collection des premiers « Guide du Routard ». Après avoir été refusé par 19 éditeurs, Philippe Gloaguen le co-fondateur et actuel directeur de la collection avait réussi à faire paraitre en avril 1973 un premier guide chez Gedalge. Mais à peine lancé, le Routard manque de périr: un autobus écrase l’éditeur et entraîne la faillite de sa petite maison d’édition. Un soldeur rachète les 1500 guides non vendus et les écoule sans peine. Il contacte alors Philippe et le met en relation avec Hachette, éditeur des Guides bleus. Au bout de quelques mois, je le rencontre dans un couloir et il me dit qu’il est très content de mon travail, que je m’implique vraiment dans la correction, en faisant même des propositions, ce qui lui plait beaucoup. Le problème, lui dis-je, c’est que j’en ai marre de voyager par procuration, j’aimerais bien aller un peu sur le terrain. A ce moment, il me tombe dans les bras en me disant qu’il est tout seul et qu’il cherche justement quelqu’un pour le seconder. Au début, je dois bien avouer que cela n’a pas été très rentable parce qu’il n’y avait que 6 guides. J’ai donc continué mon activité de correcteur. En 1981, le Journal officiel m’a proposé d’être embauché définitivement avec le salaire, le double statut, travailleur de l’Etat et de l’imprimerie, la protection sociale et la possibilité d’exercer des activités syndicales. Le truc de rêve quoi ! De l’autre côté, j’avais pris goût au voyage. Philippe Gloaguen me laissait une liberté totale. Je pouvais laisser libre cours à mes partis-pris et à mes coups de gueule.  Je me rendais compte qu’écrire, partager mes passions avec les lecteurs, c’était vraiment ce que j’avais envie de faire. J’ai donc eu un véritable état d’âme. Qu’est-ce que je fais ? Choisir la sécurité, ou alors l’inconnu, mais avec en perspective, le Mexique, le Brésil et tant d’autres à venir. Finalement j’ai choisi la route…

Faut-il selon vous être engagé politiquement pour être un vrai voyageur ?    

Non, mais il est en revanche nécessaire d’exprimer au moins à travers le guide sa solidarité avec les laissés-pour-compte de la société et les opprimés. On ne peut pas visiter un pays en faisant abstraction des conditions sociales, politiques, humaines. Depuis que je suis tout petit, toutes les choses que j’ai vécues et qui m’ont profondément bouleversées étaient toujours liées au combat, à la lutte pour des droits élémentaires, avoir un logement, le droit de manger à sa faim, l’accès à l’éducation. Je pense que le Guide du Routard s’est construit contre l’ancienne génération des guides de voyage qui prétendaient développer une vision objective et neutre des sociétés décrites. Dans ces guides, on en arrivait à parler du Portugal ou de l’Espagne  sans parler de la dictature de Salazar ou de Franco. Quand on visite un pays, même un pays européen, on doit laisser à la frontière ses préjugés, ses clichés, ses seaux de merde dans la tête. Et puis surtout, il faut essayer de comprendre. Les lecteurs du Routard se sont reconnus dans cette démarche. Et c’est certainement en grande partie pour cette raison qu’ils nous sont fidèles depuis plus de 40 ans.

Quel regard portez-vous sur le succès du Guide du Routard ?

Le Routard est un fait de société. C’est un objet nomade qui a su taillé sa place dans la société parce qu’il a su comprendre son évolution. Si nous n’avions pas compris les nouvelles façons de penser le voyage, les nouvelles techniques, nous n’aurions pas subsisté très longtemps. Nous avons su tenir compte de nos erreurs, sous les coups de boutoir de notre lectorat qui nous donnaient des tuyaux et des conseils. C’est une histoire de renvoi d’ascenseur perpétuel. On leur apporte une info, ils nous confirment de façon fraternelle, si on a tout bon ou tout faux. On en tient compte et chacun évolue comme cela. L’un des atouts du Routard est aussi d’être intergénérationnel. Il a su au fil du temps répondre aux critiques des lecteurs et avancer avec lui.

Que dites-vous à ceux qui estiment que le Routard s’est embourgeoisé ?   

Je leur fait un sourire affectueux en leur disant que sur le fond ils ont raison. Mais je leur rétorque également qu’embourgeoisé n’est pas le bon terme. Je préfère dire que le routard a évolué. Le routard moyen, l’étudiant fauché des années 70, le hippie, chemise à fleur, bandana dans les cheveux et gratte dans le dos, quand j’en vois un, je cours après et le prends en photo. Le symbole du routard ce n’est plus cela. Dans une randonnée dans la Vanoise, il peut y avoir aujourd’hui un prolo de chez Renault derrière un banquier de chez Rothschild. En fait, le Routard, c’est avant tout un état d’esprit. C’est un regard sur le voyage qui est totalement indépendant de la classe sociale et de l’épaisseur du portefeuille. Mais, parfois c’est le voyage d’une vie et il faut donner l’occasion aux gens de vivre des choses exceptionnelles tout en évitant des prix scandaleux. Je pense à des palais de Maharadjahs dans le Shekhawati en Inde. C’est moins de 100 dollars par nuit dans une chambre de 80 m2 avec des serveurs en livrée et des lits à baldaquins. Pourquoi s’en priver ?

Y a-t-il un voyage que vous voudriez refaire et une destination qui reste encore pour vous à découvrir ?     

J’ai encore deux ou trois rêves. C’est tout d’abord achever mon fantasme asiatique avec la Corée du Sud et la Mongolie depuis notamment que j’ai vu le film Urga de Nikita Mikhalkov. Et puis aussi l’Ethiopie. Un voyage que j’aimerais refaire, le Yémen. Je crois que j’y ai vécu le choc de civilisation et le dépaysement le plus profond de mes années de route. Un peuple qui consacre 30 % de son revenu national à mâcher du Qat, cette espèce d’herbe soi-disant euphorisante qui fait à ses consommateurs de jolies joues dilatées, c’est tout simplement incroyable. Tout le pays est en armes alors que l’architecture des villes est absolument splendide. Je pense que Saana est probablement l’une des villes les plus belles du monde. Et puis les traditions, les ethnies, le désert… J’aimerais bien y retourner, mais je crois que je vais devoir attendre quelques siècles, parce qu’en ce moment il n’y a pas un centimètre carré qui est abordable. Il faudra donc que je reporte temporairement mes espoirs sur un autre pays.

Propos recueillis par David Raynal

Chroniques vagabondes : Petit dictionnaire des insolites itinéraires d’un Routard

400 pages – 19,90 € – Hachette Tourisme