La Picarde Marion Ricordeau, 33 ans, est l’une des rares Françaises à avoir tenté sa chance sur le circuit américain. Pour Swing Féminin, elle revient sur sa carrière professionnelle, qu’elle a arrêtée il y a un an et demi.

Marion Ricordeau – ©TPlassais/swing-feminin.com

Bonjour Marion, que devenez-vous depuis l’arrêt de votre carrière professionnelle, fin 2018 ?

Mon compagnon (Inigo Ceballos) est directeur du golf d’Etretat depuis un an et demi, je l’ai donc suivi. Dans un premier temps, j’ai travaillé comme réceptionniste dans un hôtel de la ville pendant huit mois. C’était une très bonne expérience, je voulais mettre un pied dans le secteur de l’hôtellerie. Mais je finissais souvent entre minuit et 2 h du matin et du coup j’avais une vie sociale encore moins développée que lorsque j’évoluais sur le Tour. Depuis deux semaines, je travaille au golf d’Etretat avec Inigo. C’est mon chef, je suis son assistante, les rôles sont inversés par rapport à l’époque où il me caddeyait sur le circuit (rires).

Pour quelles raisons avez-vous mis un terme à votre carrière professionnelle ?

Pour plusieurs raisons. Je souhaitais un peu de stabilité, je ne supportais plus de vivre dans une valise. En 2016, j’ai joué cinq mois d’affilée sur le circuit américain sans rentrer en France. Les Etats-Unis, c’est un peu à double tranchant, soit on aime, soit on n’aime pas. Ce n’est pas la même culture, ni la même nourriture. Ma famille me manquait… Et puis, il y avait de la déception concernant mon niveau de jeu. Je m’entraînais de plus en plus et mes résultats étaient de moins en moins bons, c’était très frustrant. Je me souviens du jour où j’ai décidé d’arrêter, après le dernier tour de l’Open de France en 2018. J’ai bien joué toute la semaine, même si mon score était moins bon le dimanche. A un moment, j’ai enchaîné un double et un triple bogey, mais le public n’a pas arrêté de m’encourager et de me porter, c’était très fort. Il y a eu comme un déclic. Je me suis dit que je ne revivrai peut-être plus jamais toutes ces émotions et j’ai décidé de m’arrêter là-dessus.

Vous êtes l’une des rares Françaises à avoir tenté votre chance aux Etats-Unis et à avoir joué sur le Symetra Tour et le LPGA. Perrine Delacour nous confiait récemment qu’il y avait une vraie différence entre les deux circuits…*

C’est simple, quand vous jouez sur le LPGA, vous avez l’impression d’être une princesse. Vous avez l’impression de jouer un Majeur chaque semaine. Les parcours sont extraordinaires, vous êtes chouchoutées par les sponsors… Le Symetra, c’est la deuxième division, c’est disons plus jeune, plus familial. Vous jouez parfois dans des endroits paumés, les parcours sont moins bien préparés. C’est une belle bataille, mais il y a peu d’élues à l’arrivée et il faut avoir les reins solides. On est dans le dur tout le temps sur le Symetra, c’est un cercle vicieux. Il y a moins de sponsors, moins de visibilité, moins de dotation, il n’y a pas les meilleures joueuses du monde qui vous tirent vers le haut. Et puis, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les frais d’inscription sont bien plus élevés sur le Symetra que sur le LPGA, 500 $ au lieu de 200 $, car il y a moins de budget. Mine de rien, lorsque vous posez votre tee au départ du 1, vous êtes déjà à – 500 $, sans parler des autres frais…

Vous avez été championne de France, puis championne du monde universitaire en 2008, à Sun City en Afrique du Sud. Vous avez gagné sur le LETAS à Terre Blanche, en 2012. Vous avez aussi terminé 2e en Chine, au Xiamen International Ladies Open, en 2014. Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?

Celui qui m’a procuré le plus d’émotions… (elle hésite), je dirais le championnat du monde universitaire, c’était quand même irréel. Sur le papier, j’étais loin d’être la meilleure, les scores étaient très élevés. Le premier jour, ma partie avait duré 7 heures ! En plus il faisait 35 degrés ce jour-là, alors qu’en août, c’est censé être l’hiver en Afrique du Sud. On avait passé 7 heures en plein cagnard…

Sept heures pour jouer au golf, c’est un record !

En fait, la délégation chinoise ou celle de Taïwan, je ne sais plus, avait envoyé une équipe de joueuses qui avaient commencé le golf… quatre mois plus tôt. Du coup, elles avaient bloqué tout le monde. Mais ma victoire était une vraie surprise pour moi, je ne m’y attendais pas. Je me souviens encore de Morgane Bazin qui vient m’asperger de Powerade sur le green du 18, alors que je ne pensais même pas avoir gagné ! Du coup, ma première réaction a été de râler, de me plaindre d’être toute collante et de m’inquiéter pour mes fringues (rires). Je me souviens avoir été très émue quand on m’a mis la médaille d’or autour du cou. Si en plus on avait balancé la Marseillaise, j’aurais peut-être pleuré comme une madeleine (rires). Avec Morgane et Audrey (Goumard), on avait aussi terminé troisième par équipe. En passant pro, je n’ai plus ressenti les mêmes émotions, je n’étais plus là pour les mêmes raisons, le golf était devenu mon job. Ce n’était plus le même plaisir, la même joie pure qu’on peut ressentir en amateur.

Il y aussi ce tournoi en Chine en 2014, où vous terminez deuxième mais encaissez le chèque du vainqueur…

Oui, c’est aussi un bon souvenir, forcément. J’avais terminé à trois coups de la gagnante, mais comme elle était encore amateur, j’avais ainsi empoché le chèque de la victoire. A l’époque, je traînais beaucoup avec les Australiens et les Britanniques qui me disaient : «  t’as le chèque, t’as gagné ! ». Mais moi, comme j’avais fini trois coups derrière, je n’avais pas vraiment cette impression. C’était une bonne période pour moi, car la semaine d’avant, j’avais terminé aux alentours de la 10e place d’un autre tournoi en Chine. Cela m’avait fait du bien financièrement car je n’avais pas de sponsors à l’époque. L’année 2014, c’est sans doute ma meilleure année.

Et le pire souvenir de votre carrière ?

Sur le Symetra Tour, je me souviens avoir fait deux fois 10 sur un par 5 dans le même mois, ce qui ne m’était jamais arrivé. La seconde fois, c’était lors d’un tournoi en Caroline du Nord sur le dernier trou et je rate le cut de 4 coups. J’avais complètement dégoupillé, j’étais à côté de mes pompes. Je n’avais même pas cherché à me battre. Cela m’avait marqué car ce n’était pas la personne que j’avais envie d’être.

Un autre moment marquant de votre carrière, c’est le jour où vous avez croisé Laura Davies pour la première fois…

Oui, j’étais encore amateur et j’avais été invitée pour l’Open de France à Arras. Beaucoup d’amis de ma région étaient venus me soutenir. Lors de la première journée d’entraînement, je suis sur le practice et là, je vois arriver Laura Davies. Je n’avais aucune culture golfique à l’époque et, à part les Françaises, la seule que je connaissais, c’était Laura Davies ! Je la regarde et là, très sympa, elle me lance : « Salut, ça va ? ». Toute surprise, je baragouine je ne sais plus quoi comme réponse et j’enchaîne gratte, top, socket… il m’a fallu 5-6 coups pour retrouver mes esprits ! Elle a dû se demander comment j’avais pu me qualifier pour le tournoi (rires).

Et vous aviez terminé devant elle lors du tournoi ?

Je ne sais pas, je me souviens juste avoir fait un super tournoi puisque j’avais terminé 21e. Pendant deux-trois ans, je n’ai pas réussi à avoir un meilleur résultat sur le LET alors que j’étais passée pro, du coup je l’avais un peu en travers de la gorge. Quant à Laura Davies, j’ai eu la chance de partager une partie de reconnaissance avec elle quelques années plus tard.

A quel âge avez-vous commencé le golf ?

Vers 12 ans, au golf de l’Ailette en Picardie. Mais je me suis vraiment intéressée à ce sport à 17 ans. Gamine, je jouais beaucoup au volley, le golf était presque une obligation pour moi, je préférais jouer à la playstation avec les copains. Mon père a insisté et a eu le dernier mot. Et puis j’ai rencontré deux pros de Chantilly et Morfontaine, Frédéric Regard et Eric Bournazel, qui m’ont dit que j’avais un vrai potentiel. Sans eux, je n’aurais jamais fait une carrière professionnelle.

Votre point fort au golf ?

Cela a changé avec le temps. Quand j’avais 15-16 ans, j’étais une joueuse puissante. Maintenant, c’est tous les coups à moins de 100 mètres, le wedging et le putting. J’ai pris un plaisir fou à m’entraîner au putting, du coup j’ai beaucoup progressé. Quant au wedging… je me souviens avoir partagé la partie avec la n°4 mondiale So Yeon Ryu lors de mon premier British Open au Royal Birkdale. Au début, j’avais un peu peur de m’ennuyer en jouant avec une Coréenne (rires), mais en fait elle était super sympa et elle m’avait vraiment impressionnée au wedging. Je me suis dit : je veux faire pareil ! C’est d’ailleurs elle qui m’a donné envie d’aller jouer aux Etats-Unis.

Votre meilleur score ?

-8 au golf du Médoc, pendant le Grand Prix Schweppes, en 2014 ou 2015 je ne sais plus quelle année exactement.

Vous avez déjà réussi un trou en un ?

En compétition, non. J’en ai réussi un sur le Symetra Tour, lors d’une « reco ». Et un autre il y a tout juste trois semaines, sur le trou n°9 d’Etretat, lors d’un scramble à deux. La dame avec qui je jouais, c’était sa première compétition, elle était impressionnée (rires).

Vos parcours préférés ?

A l’international, le Royal Birkdale et le Victoria Golf Club à Melbourne. Birkdale, c’était mon premier Majeur et le Victoria, j’y ai très bien joué, cela doit m’influencer un peu. Mais au-delà de ça, ce sont des types de parcours que j’affectionne, un peu secs, où il faut travailler et placer la balle… pas des targets golfs.

Et en France ?

J’adore Chantilly Vineuil et Morfontaine, mais aussi le golf de l’Ailette même si ça peut paraître un peu « chauvin ». Le cadre est sympa, il n’y a jamais deux trous pareils, vous jouez au bord de l’eau, en forêt, c’est plus ou moins vallonné… Je me rends compte que j’ai eu de la chance de grandir et de m’entraîner sur un tel parcours.

Y a t-il une joueuse ou un joueur que vous admirez ?

Tiger Woods. C’est un modèle sur le plan golfique, il a dominé son sport pendant tant d’années, c’est impressionnant. Être capable de revenir au plus haut niveau et de regagner malgré tous ses problèmes physiques, et pas seulement, c’est très fort. Et puis il y a aussi Jordan Spieth. Mais là, c’est peut-être aussi parce que mes parents ont eu la chance de jouer un Pro-Am avec lui. Ils m’ont dit qu’il était tellement gentil, qu’ils avaient presque eu l’impression de jouer avec leur fils.

En parlant de Pro-Am, quel est le défaut le plus courant chez les amateurs selon vous ?

Ils n’ont pas conscience de leur niveau réel, dans les deux sens. Certains prennent leurs bons coups pour la normalité et d’autres, au contraire, ne voient que leurs mauvais coups alors qu’ils sont aussi capables d’en taper de très bons. Ils n’ont pas une vision très lucide de leur niveau de jeu. La normalité, ce n’est pas le meilleur ou le plus mauvais coup que l’on peut taper dans une partie.

Propos recueillis par Franck Crudo

* https://swing-feminin.com/perrine-delacour-sur-le-lpga-on-voyage-en-avion-alors-que-sur-le-symetra-cest-en-voiture/