Avec l’Avaleur, Robin Renucci s’empare ici de cette pièce de Jerry Sterner, satire du processus d’OPA hostiles et des relations entre la finance et l’industrie. Texte d’après Other People’s Money de Jerry Sterner; mise en scène Robin Renucci avec Nadine Darmon, Marilyne Fontaine, Xavier Gallais, Robin Renucci, Jean-Marie Winling.

D’un côté, il y a Franck Kafaim, « l’Avaleur », trader à la City de Londres, génie du rachat d’entreprises, qui possède un furieux appétit de vie, de pouvoir, d’argent, de tout. De l’autre côté, sa cible : une entreprise florissante, le « Câble français de Cherbourg ». Le pdg et son assistante, plus âgés, ont donné leur vie à l’entreprise. Ils croient en l’élargissement du bien-être général par l’industrie, ils aiment leur métier, se sont battus pour traverser les crises et en sont fiers. Le spectateur est placé face à ces deux camps, comme dans un ring de boxe. Qui va emporter la partie ?

Mais attention, comme les ogres des contes, cet avaleur est séduisant, jubilatoire même ! Drôle et enlevée, la mise en scène, d’un rythme allègre ponctué par une batterie sur laquelle les comédiens jouent à tour de rôle, met en lumière notre époque. C’est la fin de l’ère du capitalisme qui se consomme, se consume…

L’homme est-il encore et toujours un loup pour l’homme ? La création de L’Avaleur se place dans le cadre d’un cycle de rencontres et créations autour des notions de « travail » et de « richesse » amorcé par les Tréteaux de France.

Mise en scène

C’est le contexte de la société dans laquelle nous sommes, le système dans lequel nous vivons dans nos pays, qui m’ont conduit naturellement vers cette pièce et m’ont amené non pas à devoir exposer des raisons ou trouver des solutions, mais à chercher, en premier lieu, d’où vient le mal. On se trouve face à ces questions posées au XVIIe siècle par le philosophe Thomas Hobbes avec ce constat : « À l’état de nature, l’homme est un loup pour l’homme ». Après Le Faiseur et l’incursion de Balzac dans le monde de la Bourse de Paris dans les années 1840, j’ai souhaité faire un grand saut dans le temps avec cet Avaleur, ce dé-Faiseur, ce destructeur de valeur qui opère dans les années 2000.

Il y a toujours un dévoré et un dévorant dans le monde qui nous est proposé comme modèle, celui du capitalisme, ce monde où le profit personnel prend souvent le dessus sur le collectif et le social. Il m’a semblé ntéressant de mettre en scène une pièce qui nous permette de réfléchir à notre époque et d’entrevoir la prochaine. Nous sommes certainement à la fin d’un cycle et à l’amorce d’un nouveau, nous le sentons. Edgar Morin parle de mue, de métamorphose. De quel monde héritons-nous ? Dans quelle mutation sommesnous ? C’est le sujet même de la pièce de Jerry Sterner. […]

[Le personnage de l’Avaleur] est séduisant, il est plaisant, jubilatoire même, plein d’humour et d’énergie vitale. C’est d’ailleurs l’une des caractéristiques de nos sociétés. À l’intérieur même d’un système destructeur, mortifère, tout est fait pour que cette opération soit séduisante. L’ogre n’est jamais caché, jamais masqué, il s’affiche au contraire, il apparaît tel quel avec cynisme, dans sa compulsion de nourriture, son désir d’engouffrer. Il est séduisant comme les monstres des contes. […]

C’est une pièce très drôle, qui doit aussi, comme Le Faiseur, nous faire frémir. C’est vraiment une comédie. Le personnage central est un escroc irrésistible, capable de retourner sa veste, et, après quelques excuses pour les dégâts causés, capable d’obtenir encore et toujours l’adhésion du public. Le problème est que les dégâts causés ne sont pas toujours réparables !

Cette dangereuse impunité, il faut la faire entendre dans l’humour, en espérant contribuer à la prise de conscience des spectateurs. Que l’on ne puisse pas dire : on ne savait pas. C’est un sujet violent et comique, qui fait de la pièce un vrai conte moderne. L’ogre est attirant et effrayant à la fois. Il dépense, il se dépense, il est surdimensionné. On pourrait résumer la pièce ainsi : est-ce que l’ogre va croquer tout le monde ?

Dans la pièce originale, l’entreprise n’est pas située à New York mais au fond de l’Amérique, dans une zone anciennement industrialisée. Dans l’adaptation française, elle sera basée à Cherbourg pour dessiner l’espace d’un port, et par là favoriser une ouverture avec l’imaginaire de la navigation, des départs, du monde du commerce international. Le deuxième espace, Wall Street dans l’original, sera situé à Londres, dans la City, au coeur des hauts lieux de la transaction. Trois espaces donc : un espace moderne à Londres, Cherbourg avec une fenêtre sur l’imaginaire, et un espace d’avancée où le narrateur vient parler au public, espace intemporel en rapport direct avec la salle. […]

Autour de l’Avaleur, il y a le chef d’entreprise à l’ancienne : un capitaine qui a mené en bon père de famille l’entreprise et qui représente un capitalisme social. Il y a également une femme qui est la femme de confiance, l’assistante, rigoureuse, honnête, représentante du personnel. Et puis une autre génération : la jeune femme, avocate, à l’école du pouvoir. Elle est prise d’une sorte d’excitation sexuelle dans la lutte face aux manoeuvres de l’Avaleur. Car c’est aussi une lutte homme-femme, une lutte des sexes, un combat de puissance à puissance. La jeune femme se voit, se vit, comme une dompteuse.

Le personnage du narrateur, que je jouerai, est un personnage en empathie avec le public, entre les deux camps, faisant partager ses interrogations. Il tente de perdre le moins de plumes possible. Un personnage qui était ancré et qui, dans ce grand chamboulement, de gré ou de force, devient flottant et doit se redéfinir. Là encore, il s’agit d’un itinéraire très contemporain.

L’auteur a la franchise de montrer un combat, un combat de l’homme contre l’homme. Il a été chef d’entreprise, on sent qu’il a observé tout cela de près et il a écrit un théâtre narratif, haletant, direct. Je crois que ce sera joyeux pour le public d’assister à ce combat d’aujourd’hui avec la distance du rire et du conte.

Informations pratiques

Maison des Métallos
94, rue jean-pierre timbaud, paris 11e
m° Couronnes ou Parmentier
bus 96

  • mardi 31 janvier > samedi 18 février
  • du mardi au vendredi à 20h
  • le samedi à 19h
  • le dimanche à 16h
  • durée 1h40
  • à partir de 13 ans

Tarifs de 5 à 14 euros

Réservation : 01 47 00 25 20
www.maisondesmetallos.paris