Les putts rentrent les uns après les autres inlassablement; une véritable ritournelle. Souriant, Jordan Spieth, le jeune padawan aux cheveux d’or, filiforme et quelque peu dégingandé ne parait pas étonné. Concentré, il regarde sa ligne, frappe la petite balle blanche qui comme toujours et sans le moindre détour, finit au fond du trou !

Chronique de Kristel Mourgue d’Algue

Jordan Spieth : Let's make a wish !

Photo : D.R.

Tout semble si simple à cet âge tendre et puis soudain, la machine se grippe, le doute s’instille. L’appréciation de la confiance se révèle véritablement lorsqu’on la perd. Le Texan de 26 printemps, Jordan Spieth, ancien numéro un mondial il y a cinq ans en fait aujourd’hui la cruelle expérience. Des rivages aux abysses, comment une telle descente aux enfers s’avère possible ?

Le « wonder boy » américain triple vainqueur en Majeurs (Masters et US Open en 2015 puis British Open en 2017) n’a plus soulevé de trophées depuis sa victoire à Royal Birkdale en Angleterre il y a presque trois ans. 44ème à l’actuel classement mondial, son putting refait des étincelles (deuxième l’année dernière sur la moyenne de putting sur le circuit américain) mais l’inquiétude réside toujours à l’égard de son long jeu. Alors qu’il campait sur un solide rang de numéro un pour sa régularité du tee de départ au green en 2017, il a rétrogradé au 157ème rang à l’issue de la saison 2019 (www.pgatour.com). Grâce à la magie de son plus fidèle « ami », il a décroché une huitième place en Corée du Sud en octobre dernier et joué les quatre tours des trois compétitions disputées depuis le début de sa saison.

Pour pareil champion qui a atteint les sommets si jeune (il ne lui a fallu que sept mois pour remporter son premier tournoi professionnel alors âgé de 21 ans), les attentes sont très élevées… L’ascension fut si rapide, son jeu de fer et son putting si spectaculaires qu’il devint quelque peu prévisible qu’une « accalmie » se produise. L’omniprésence des moyens de communication renforce cette pression « tyrannique » sur un athlète sincère et qui demeure malgré tout dans la fleur de l’âge. A l’instar de Tiger Woods en 2013 lorsqu’il gagna cinq tournois, les médias insinuèrent qu’il avait réalisé une saison médiocre… Les exigences du haut niveau sont telles que le moindre vacillement peut signifier quantité de places perdues voire un cut*2 manqué, et la dégringolade commence. D’un golf instinctif et fluide, le golfeur déstabilisé se retrouve tout à coup à la recherche désespérée du swing parfait. Perdant toute lucidité, la visualisation de la réussite devient « mission impossible » et le diamètre des trous rétrécit à vue d’œil…

Chronique de Kristel Mourgue d'Algue : Let's make a wish !

D.R.

En ce qui concerne Jordan Spieth, qui ne se distingue pas particulièrement par sa frappe (307ème du circuit sur le PGA Tour), son putting incroyable lui permettait de soulager son grand jeu et de s’exprimer pleinement car il savait qu’il allait toujours ou presque, rattraper un coup égaré. Dès lors sa précision avec les fers se révélait remarquable. Il a suffi de quelques coups manqués suivis de putts échoués au bord du trou pour se voir relayer aux tréfonds du classement. Spieth invoque quelques erreurs techniques, notamment d’alignement (Golf Digest, 13 août 2019). Il s’avère que l’Australien Cameron McCormick, son coach depuis ses 12 ans lui a inculqué un mouvement peu orthodoxe avec notamment une position du bras gauche pliée à l’impact.

Bien entendu, il recherche une raison mécanique et peut être qu’un avis extérieur s’avérait bénéfique après toutes ces années sous la même autorité. En outre, selon l’Australien de 64 ans double lauréat de la Claret Jug*, Greg Norman, qui lui aussi traversa une période « compliquée » en 1992 après deux années sans trophées, il avoua renouer avec le succès lorsqu’il réussit à affronter ses craintes et ses frustrations (Golf Digest, 12 Mars 2019). Comme toujours, la solution se trouve à l’intérieur de soi-même…

Jordan Spieth à la recherche des « clefs » du putting avec son coach Cameron McCormick

Chronique de Kristel Mourgue d'Algue : Let's make a wish !

Jordan Spieth à la recherche des « clefs » du putting avec son coach Cameron McCormick – Photo : D.R.

Le mariage de Jordan Spieth en novembre 2018 avec son amour de jeunesse, Annie Verret et l’éventualité d’une paternité a sans doute également bouleversé son équilibre. Il répète à l’envi qu’il a entamé un « processus », qu’il a besoin de plus de répétitions et que les bons résultats ne vont pas tarder à arriver. Cela vous semble familier (ref : Tiger Woods) ? Cependant, seule la régularité sous les feux de la rampe, soit en compétition, peut annoncer un comeback parmi l’élite mondiale. Statistique pour le moins confondante en août 2019, il réalisait le plus grand différentiel entre ses scores de la semaine et ceux du week-end sur le circuit américain ; soit plus de 3,2 points d’écarts, le plus important du Tour !

Chronique de Kristel Mourgue d'Algue : Let's make a wish !

D.R.

Il ne faut pas négliger non plus son authentique et généreuse relation avec les médias qui doit amplifier encore la pression. (Tiger est un cas d’école du « ni trop, ni trop peu » afin de se préserver et de rester concentré sur son jeu et ses vrais objectifs).

Après l’annonce il y a deux semaines d’un mauvais rhume, Jordan devrait effectuer son retour sur les fairways à la fin du mois à Torrey Pines en Californie. Gageons que ce fabuleux talent naturel, idole de la jeune génération par sa gentillesse et sa sportivité retrouve rapidement les chemins de la gloire. Le golf peut s’enorgueillir d’une telle personnalité et Augusta*4 serait à même de constituer cette fantastique opportunité ; il y a terminé quatre fois dans le top trois en cinq apparitions. Après tout

Jordan Spieth : Let's make a wish !

Et pourquoi pas une seconde veste verte? – Jordan Spieth – Photo : D.R.

le Masters se veut, de coutume, le théâtre d’exploits prodigieux… Let’s make a wish !

*1 Coupe du British Open
*2 Etape de qualification
*3 Parcours d’Augusta National où se déroule tous les ans le Masters

KMA est une ancienne joueuse du Circuit Européen, correspondante de Golf Magazine USA, co-propriétaire du Grand Saint