Jean-Marc Sabatier est coach mental auprès des sportifs et entraîneurs de haut niveau ou encore des dirigeants d’entreprise. Il vient de sortir une trilogie* sur la préparation mentale appliquée aux situations à enjeu. Interview.

Jean-Marc Sabatier.

Le golf est l’un des sports parmi les plus difficiles sur le plan mental, car contrairement à la plupart des autres disciplines, vous êtes seul, vous ne pouvez pas évacuer le stress via la dépense physique et chaque point compte autant que les autres (contrairement au tennis par exemple). Quel conseil donneriez-vous aux golfeuses et aux golfeurs, qu’ils soient amateurs ou professionnels ?

Au golf, aux échecs ou au poker en effet il n’y a pas la dépense physique pour évacuer, il faut donc encore plus apprendre à gérer son énergie car le stress est énergivore. Mais chaque sport a ses spécificités et je ne pourrais pas dire si un sport est plus difficile qu’un autre. Le pilote, le boxeur ou le grimpeur font chacun appel a des habiletés mentales spécifiques. Ils doivent se connaître, puiser dans leurs ressources et se dépasser, ce qui est commun à tous les athlètes ou managers en entreprise. Chacun souhaite devenir son propre champion, c’est à dire accéder à son plein potentiel dès qu’il le souhaite. Qu’il perde ou qu’il gagne, l’essentiel est qu’il soit capable de donner le meilleur de lui même. Or, il y a des verrous qui empêchent ou favorisent l’accès à cette zone : l’environnement, la confiance, la concentration, les émotions, la motivation, l’apprentissage permanent, la gestion de l’enjeu..

Et si vous deviez donner un premier conseil à une golfeuse ou à un golfeur, sur le plan mental ?

Le premier conseil que je donnerai est d’être curieux de soi, de son fonctionnement. D’aller étudier comme un anthropologue son système. D’observer son propre fonctionnement, en quelque sorte de faire un audit. Qu’est ce qui fonctionne bien en compétition ? Où sont mes points forts ? Qu’est ce que je pourrai améliorer ? Comment ? Bien sûr, nous avons des tests psychologiques évolués pour faire un travail plus approfondi, mais je suis sûr qu’intuitivement, chacun peut commencer un auto diagnostic de ses forces et faiblesses mentales. C’est déjà un bon début. Le mental se travaille comme un muscle et on peut progresser tout au long de sa vie.

Chez les professionnels, un putt sur le dernier trou peut parfois vous faire perdre ou gagner des milliers de dollars, voire beaucoup plus encore. Quel conseil donneriez-vous à ce moment précis au golfeur qui doit jouer un putt décisif ?

Le fameux « money time », le coup qu’il « ne faut pas rater ». Nous travaillons précisément pour que les sportifs puissent se détacher de ça, de ces pensées qui sortent de l’instant. Ils doivent être imprégnés, connectés à l’instant pour pouvoir délivrer leur meilleur coup à ce moment précis. C’est la principale différence entre les très grands champions et les autres. Ils délivrent leur meilleur jeu quand il le faut. Bonne nouvelle, cela se travaille.

Un jour, un pro à été voir Jack Nicklaus pour lui demander comment il faisait pour putter aussi bien sous pression et ne pas ressentir de stress quand il avait un putt pour gagner un tournoi. Le recordman du nombre de victoires en Grand Chelem lui a répondu qu’il ressentait autant le stress que les autres, mais plutôt que de perdre de l’énergie et de la concentration à essayer de ne pas stresser, il l’acceptait et préférait se concentrer uniquement sur son putt. N’est-ce pas l’une des clés pour réussir sous pression  ? Accepter le stress, la pression, plutôt que d’essayer – vainement – de s’en débarrasser ?

Il faut dompter la peur comme un lion en cage. Toujours s’en méfier car ça reste un animal sauvage mais avec le temps, l’entente et la compréhension deviennent meilleures. La peur nous veut du bien, elle nous prépare, nous met en énergie pour délivrer la meilleure prestation possible. il faut la respecter et finir par l’aimer. En développant vos compétences au fur et à mesure, vous serez en capacité de prendre plus de risques.

Le fait de relativiser ce qu’on est en train de faire est-il une bonne technique pour donner le meilleur de soi-même selon vous ? Après tout, un drive ou un putt raté ou réussi, à l’échelle de notre existence, et a fortiori de l’univers, c’est bien dérisoire…

Pas si simple. Allez dire ça aux enfants qui jouent « leur vie » en tournoi ou aux pros qui essayent de la gagner et dont les résultats influent sur leur fin de mois. Mais vous avez raison, la capacité à relativiser est essentielle pour pouvoir rebondir vite. Digérer les résultats. Vous avez le droit d’être déçu, c’est d’ailleurs la preuve de votre engagement, mais il ne faut pas que cela dure trop longtemps ou que cela brise votre motivation. Les debriefings sont donc essentiels à ce niveau.

En tant que coach mental, vos conseils sont-ils globalement les mêmes en fonction des disciplines (sport, monde de l’entreprise, etc) ou est-ce que vous les adaptez à la personnalité que vous avez en face de vous ? En d’autres termes, pourriez-vous tenir un discours totalement différent à deux golfeuses différentes ou la trame reste la même ?

Il y a des points communs : nous sommes tous soumis à notre condition d’humain: naître, vivre avec nos désirs, nos peurs et nos désespoirs, aimer et être aimé et finir par mourir, le plus tard possible. Et des différences : chaque être humain est un univers à lui tout seul. Il a sa manière de fonctionner, de décrypter l’information, de l’assimiler. Je pars donc avec mes grilles de lecture, glanées au fil des ans, pour essayer de comprendre chaque personne puis d’accompagner les demandes tout en respectant les spécificités de chacun. Il y a une trame, mais il y a surtout la personne et l’endroit d’où elle part ainsi que sa demande. En vint ans, j’ai la sensation de n’avoir jamais fait la même séance et pourtant j’ai déjà traité les mêmes sujets des milliers de fois – confiance, concentration, détermination d’objectifs -, c’est ce qui rend ce métier hyper passionnant. L’objectif reste de créer de la performance, tout en assurant le bien être. Peu importe le chemin.

Le regard des autres, la peur de les décevoir est-il l’un des plus grands inhibiteurs de performance?

Le premier inhibiteur est le regard sur soi, les attentes par rapport à soi. Ensuite, les attentes de l’environnement. Puis le rapport au score qui est très destructeur et dont il faut sortir rapidement. Il faut apprendre à gérer son environnement hérité, le mettre à distance si nécessaire, créer un environnement aidant et l’entretenir. Le but est d’arriver à jouer libérer de tout ça.

Dans votre livre, vous parlez de « drivers », rien à voir avec le golf je suppose. De quoi s’agit-il ?

Non, rien à voir (rires) ! Les drivers sont des programmes cachés que nous avons intégrés. Ils nous veulent du bien mais à l’excès, leurs effets deviennent délétères. Par exemple, « le sois parfait » nous pousse à bien faire mais lorsqu’on en devient esclave, il nous empêche de savourer une victoire ou tout simplement d’être satisfait. Il s’agit de prendre conscience de nos mécanismes internes et de les éduquer pour qu’il s nous laissent vivre. Dans Mieux se connaître, nous balayons le champs de tous les mécanismes intervenant malgré nous que vous ferions bien d’interroger, puis de reprogrammer.

On apprend aussi que les recherches scientifiques démontrent que la préparation mentale peut améliorer la force physique d’environ 12% et l’endurance musculaire de 11% !

Il ne s’agit que d’études liées à la visualisation. Je suis sûr que le travail mental est bien plus qu’un complément, un accessoire. Et l’apport de ce travail est inestimable. La littérature et les études attestant des résultats probants pullulent. Je suis intimement persuadé que très bientôt, tous les clubs auront leur préparateurs mentaux attitrés.

On se rend compte en vous lisant que l’être humain est « parasité » par de nombreux biais cognitifs : biais de confirmation, de cadrage, d’auto-complaisance, escalade d’engagement (qui consiste à persévérer dans l’erreur), etc. Prendre conscience de ces biais auxquels nous sommes tous – à des degrés divers – soumis permet-il de plus facilement tirer le meilleur de soi-même?

C’est en partant à la découverte de notre fonctionnement que nous pouvons désactiver ce qui ne nous convient plus et partir vers de nouveaux apprentissages, sinon nous risquons de subir nos propres comportements encore et encore. Plus vous vous intéressez à un sujet, plus vous devenez expert et il faut 10000 heures – ou dix ans – pour devenir excellent dans un domaine. En investissant en vous même, au moins vous savez où vous mettez l’argent. Ou le temps.

Dans votre livre, l’une de clés qui revient souvent est qu’il faut accepter ses erreurs et ses échecs et en tirer quelque chose de positif. Vous faites d’ailleurs une longue liste de ces génies qui, après avoir longtemps échoué ou subi bien des désagréments, ont atteint une notoriété mondiale dans leur domaine et une place dans notre histoire…

En lisant toutes ces histoires parfois incroyables à propos de célébrités, vous réalisez que leur succès ne sont que la face cachée de l’iceberg. En creusant on trouve souvent intuition, persévérance, courage, audace…cela nous donne du baume au cœur, surtout en période creuse.

Vous soulignez que bien souvent « la douleur de perdre est deux fois plus intense que le plaisir de gagner ». Comment l’expliquez-vous ?

Cela dépend de chacun mais notre cerveau est programmé pour engrammer (laisser dans le système une empreinte) les douleurs afin de les éviter par la suite. Notre instinct de préservation est bien fait. Après, pour ce qui est de la douleur de perdre, c’est un dénominateur commun aux plus grands champions. Certains parlent de « haine de la défaite », personnellement, je ne suis pas très fan du verbe, ni de l’idée. Je pense plutôt qu’il faut « l’accepter » si elle doit arriver, mais surtout je pense qu’il faut travailler à se détacher du score pour se focaliser dans chaque instant. C’est ce détachement qui permet de se dégager des peurs liées à la victoire et à la défaite. Ça se travaille en une ou deux séances.

Votre livre contient de nombreuses citations d’auteurs ou de philosophes . Finalement, un sportif de haut niveau n’a-t-il pas intérêt, sur le plan mental, à adopter une attitude « stoïcienne », qui consiste à distinguer ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous ? « Agis sur ce que tu peux modifier, accepte ce que tu ne peux pas modifier », disait Epictète…

Se concentrer sur ce qu’on peut faire maintenant avec l’état du jour sans se trouver d’excuse est une clé. Savoir lâcher ce sur quoi nous n’avons pas la main en est une autre.

Propos recueillis par Franck Crudo

* Mieux se connaître, Créer les conditions du Bien-Être, Cheminer vers la Réussite

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