Posté le 5 novembre 2019 dans Life Style.
Chronique de Kristel Mourgue d’Algue : Repenser le destin Olympique du golf
Le Baron Pierre de Coubertin se tient là, debout, à l’aube, face au départ du trou numéro 1. Triturant ses épaisses bacchantes, il attend impatient, les premières parties qui vont s’élancer et ainsi engager la compétition masculine sur le parcours « East » du Club de Kasumigaseki, à l’ouest de Tokyo.
Que pense celui qui en 1896 créa les Jeux Olympiques dans leur version moderne pour quatre ans plus tard introduire le golf dans la seconde édition qui eut lieu à Paris ? 112 ans se sont écoulés entre l’édition de 1904 à St Louis dans le Missouri et le retour du golf aux JO en 2016 à Rio au Brésil. Le golf, désormais premier sport individuel avec 80 millions de pratiquants dans 130 pays, se retrouve face à son destin l’année prochaine à Tokyo. A l’issue des Jeux, le Comité Olympique décidera en effet, si après les Olympiades de Paris en 2024, le golf « méritera » de continuer à figurer parmi les sports olympiques en 2028 à Los Angeles.
La version brésilienne qui se déroula il y a trois ans fut pour le moins controversée. La construction du parcours situé sur un marais dans la réserve naturelle de Marapendi, à l’ouest des plages de Copacabana et d’Ipanema, et confiée à l’américain Gil Hanse (et à sa compatriote, la championne de 63 printemps, Amy Alcott en tête de proue) fut tourmentée. Malgré la présence de 300 espèces menacées, la pollution récurrente de l’eau et une certaine « opacité ! » quant aux droits de propriété, le résultat architectural, harmonieux et respectueux de l’environnement fut cependant de belle facture. Avec la somme de 20 millions de dollars, coût toutefois modique pour la construction du parcours (www.news.com.au, 13 février 2019) au regard des investissements divers et variés liés aux Jeux, les détracteurs du projet estiment que ces fonds auraient pu être réorientés vers des programmes destinés aux jeunes…
A l’évidence, l’esprit olympique suppose la diffusion du sport à travers les frontières mais dans ce pays d’Amérique du Sud, seuls 20,000 pratiquants sont répertoriés sur 211 millions d’habitants (Golf Digest, 19 Juillet 2016). Greg Norman, le dogmatique australien de 64 ans, double vainqueur du British Open, estime que l’enthousiasme national de pays à la tradition golfique de longue date, tels l’Angleterre ou l’Australie, aurait prodigué un engouement d’une toute autre portée (The Sunday Times, 19 Juillet 2016). Bien entendu, davantage aurait pu être accompli, notamment au niveau de la promotion et de la mobilisation des fans via les réseaux sociaux, devenus désormais indispensables auprès de la jeune génération.
Pour couronner le tout, les trois meilleurs golfeurs du moment, le nord irlandais Rory McIlroy, l’américain Jordan Spieth ou encore l’australien Jason Day déclinèrent l’invitation en raison… « du virus Zika ». Pire (!), McIlroy tiraillé par le choix du pays à représenter, s’égara une nouvelle fois et déclara que « (finalement) il ne se sentait aucune obligation de participer car il ne s’était pas mis à ce jeu à des fins de le promouvoir » (The Guardian, 12 Juillet 2016). Sans nul doute, les Jeux Olympiques, davantage associés à l’Athlétisme et à l’amateurisme, ne revêtaient à l’époque que peu d’importance face aux tournois Majeurs.
A cela s’ajoute, le système de qualification limité à quatre joueurs par pays et qui ne permit pas non plus de rassembler l’élite mondiale composée il y trois ans, essentiellement par les USA, la Grande-Bretagne et l’Australie.
Il est vrai que la date proposée, à cheval sur la fin juillet et le début du mois d’août n’est pas idéale dans un calendrier international déjà très chargé. Pour les femmes dont la compétition débute trois jours après celle des hommes, elle risque l’année prochaine de s’intercaler entre deux tournois Majeurs ; l’Evian Championship et le British Open.
Malgré les polémiques et embellies toujours possibles, l’édition brésilienne demeure une réussite sportive avec la victoire du meilleur golfeur du champ, l’anglais Justin Rose. Vainqueur du PGA Championship en 2013 et actuel 7ème joueur mondial, il fut talonné par le suédois à la Claret Jug*1, Henrik Stenson et l’américain Matt Kuchar (21ème mondial). Le score de 62, le plus bas de l’épreuve, hommes et femmes confondus, et réalisé par la ravissante russe de 33 ans, Maria Verchenova (346ème mondiale en 2016) ou encore la leader après deux tours, l’indienne de 21 ans, Aditi Ashok, (462ème mondiale il y a trois ans, désormais 155ème), légitimèrent la mise en avant de nations jusque là peu exposées.
Quant à la déclaration de Tiger Woods la semaine dernière, lors de sa venue dans la préfecture de Chiba, à l’occasion du « Japan-Skins Game », de souhaiter figurer dans l’équipe américaine l’année prochaine (Golf Channel, 18 Octobre 2019), elle tombe à point nommée ! Sa présence implique d’emblée une couverture médiatique multipliée par deux… Dans la même lignée, Rory McIlroy vient de faire volte face et d’annoncer que lui aussi serait heureux d’être présent et de représenter l’Irlande (Golf Channel, 22 octobre 2019) ; tout arrive !
Certes, le parcours désormais premier terrain public de Rio et géré par la Fédération brésilienne, représente une première étape dans un pays qui doit retrouver sa classe moyenne de 2009 (date de l’attribution des Jeux) pour attirer davantage de golfeurs.
En 2020, le Japon, archipel stable à la culture fascinante, qui accueillera ses quatrièmes Jeux et qui remporta la Canada Cup*2 brillamment en 1957 sur ce même terrain, constitue la tribune idéale. Au chapitre des bonnes nouvelles, le Club de Kasumigaseki fut d’ailleurs contraint il y a deux ans, par le Comité Olympique de modifier sa politique en faveur des femmes pour les accepter en son sein. Il en profita également pour remodeler son tracé avec l’architecte américain Tom Fazio (le consultant d’Augusta National en Géorgie) et son fils ainé Logan qui reprend le flambeau.
Le Pays du Soleil Levant bénéficie également d’un valeureux porte-drapeau en la personne de Hideki Matsuyama, 27 ans et 31ème meilleur joueur de la planète. En remportant sur ce même tracé en 2010, l’Asia-Pacific Amateur Championship, il devint le premier amateur nippon à se qualifier pour le Masters d’Augusta et tint le cinquième rang du sportif le plus populaire de l’archipel l’année dernière (Central Research Services, 2018).
A l’instar de l’US Open de 2014 à Pinehurst, en Caroline du Nord, les Olympiades permettent un formidable éclairage sur le jeu féminin. Ainsi elles jouent le même championnat, sur le même terrain et pour les mêmes enjeux. Moins choyées que les hommes, elles n’ont pas gâché leur plaisir de participer dès 2016. Alors pourquoi ne pas aller plus loin et profiter notamment du succès de la Solheim Cup*3 de Septembre dernier et de la supposée reprise de dialogue entre la LPGA*4 et la LET*5, pour changer de format et proposer un tournoi mixte en match play.
Cette formule de jeu électrisante, loin des traditionnels 72 trous de stroke play, souvent rébarbatifs, permettrait de recouvrer l’esprit d’équipe, cher aux préceptes de l’Olympisme. Bien entendu, il faudrait éviter le quatre balles ou toute autre « fantaisie » pour se concentrer sur le « dramatique » foursome*6 (voire le greensome*7). Afin de simplifier son exécution, seules les huit meilleures équipes du classement mondial seraient qualifiées. La lauréate de deux majeurs, l’américaine de 34 ans, Stacy Lewis en est persuadée : « il ne fait aucun doute que ce genre de format rendrait la compétition beaucoup plus amusante » (PGA Tour, 22 août 2016). Unique, il s’octroierait en outre, le luxe de se démarquer de la Ryder Cup et de la Presidents Cup*8.
Un format revisité, moderne et inclusif, prouverait au monde sportif la capacité du golf, dont l’histoire débuta sous sa forme actuelle au XVème siècle, à évoluer avec son temps sans pour autant perdre ses nobles valeurs d’amitié, de respect et d’excellence. Welcome back Monsieur le Baron !
Kristel Mourgue d’Algue
*1 La « Claret Jug » désigne la coupe offerte au lauréat du British Open*2 Ancien nom de la Coupe du Monde*3 Le pendant féminin de la Ryder Cup*4 Ladies Professional Golf Association
*5 Ladies European Tour
*6 Formule alternative à deux joueurs, où chacun doit choisir de driver les trous pairs ou impairs
*7 Formule alternative à deux joueurs, où les deux golfeurs drivent à chaque trou, choisissent la meilleure balle puis jouent de manière alternative
*8 Match biennal, en alternance avec la Ryder Cup, qui oppose l’équipe masculine des Etats-Unis face à une équipe masculine internationale (hors Europe)