Posté le 21 décembre 2015 dans Arts & culture.
Beau-livre : Chasseurs de laines précieuses
Le photographe, écrivain et journaliste Jean-Baptiste Rabouan et le chef d’entreprise Dominic Dormeuil qui fabrique depuis cinq générations des tissus d’exception pour l’habillement haut de gamme et la haute-couture rendent à travers la sortie d’un beau-livre, un vibrant hommage aux peuples de la laine. Rencontre avec Jean-Baptiste Rabouan pour un voyage au cœur des fibres rares…
Ce beau-livre est un voyage inédit à la rencontre des producteurs de laines précieuses du Groenland à la Nouvelle-Zélande en passant par le Pérou, le Ladakh, l’Afrique du Sud, l’Écosse ou encore l’Asie centrale… Cette quête des fibres rares nous conduit sur les traces des animaux lainiers, des bœufs musqués, chèvres cachemire, pashmina ou mohair, chameaux, moutons mérinos ou Shetland, vigognes et alpagas.
Aussi loin que l’on remonte dans l’histoire et que l’on s’aventure sur les cinq continents, la laine protège la peau des hommes contre les morsures du froid et les brûlures du soleil. Partout des pasteurs élèvent des troupeaux dont ils « récoltent » la toison qui constitue un véritable trésor.
Dominic Dormeuil explore les élevages du monde afin de sélectionner les fibres les plus rares à partir desquelles son entreprise produit des tissus d’exception destinés aux plus grandes maisons de qcouture internationales. Il a entraîné le reporter photographe Jean-Baptiste Rabouan à travers les steppes, les landes, la toundra et les hauts-plateaux pour rendre hommage à ces « peuples de la laine » dont les troupeaux et les traditions sont à la fois si remarquables et si fragiles.
Comment a débuté le projet de ce livre ?
Je me suis intéressé en tant que photographe et ethnographe aux peuples nomades dès les années 90. A mon retour de l’un de mes reportages au Ladâkh en Inde, j’ai rencontré Dominic Dormeuil, le président de la société éponyme. Très vite, il m’a transmis le virus de la laine et m’a fait découvrir un univers extraordinaire entre l’éleveur et la fibre. C’est un rapport qui est d’ailleurs très similaire à celui que l’on peut vivre dans le vin. Une belle laine, c’est un territoire, un animal, un éleveur. Au même titre qu’un vin c’est un vigneron, un cépage et un terroir.
A son contact, j’ai commencé à voir les choses différemment. Dominic Dormeuil m’a alors confié plusieurs missions. Son métier est de courir le monde et de rechercher auprès des grossistes, des fermiers et des fabricants les fibres exceptionnelles, rares ou nouvelles. Pendant dix ans, je l’ai accompagné et nous avons collaboré ponctuellement. L’année dernière, il m’a dit qu’il faudrait envisager un grand livre sur les laines précieuses, par opposition aux laines industrielles. Ces dix dernières années, nous avons constaté que la mondialisation touchait presque toute la production de la laine et que de nombreux éleveurs traditionnels étaient en passe de disparaitre. Nous sommes donc partis pendant un an et nous avons fait ce tour du monde des laines rares. J’ai été en charge des photos et d’une grande partie des textes. Dominic, s’est quant à lui attaché aux aspects techniques.
Existe-t-il encore des peuples de la laine ?
Oui bien-sûr, il existe des peuples de la laine qui en produisent depuis des siècles, voire des millénaires. La laine reste encore aujourd’hui la fibre textile la plus utilisée. La production des laines industrielles est omniprésente, mais le marché moyen et haut de gamme fait toujours appel à des éleveurs traditionnels.
Quel est le dénominateur commun entre tous ces producteurs ?
Tous sont passionnés. Le nomade mongol lorsqu’il est avec ses chèvres cachemire est fier de sa fibre. La production d’une fibre est directement liée à la manière dont l’éleveur gère son troupeau. Car il peut faire soit de la viande, soit de la laine. Plus les animaux sont gras avec de bonnes viandes, moins la laine est bonne et inversement. Ces deux facteurs varient en fonction des dates de transhumance, du choix des pâturages. L’éleveur intervient très fortement dans la production de la fibre de son cheptel. Il est obligé de s’intéresser à la qualité de son produit pour savoir l’apprécier et le juger.
Comment voyez-vous leur avenir proche ?
Cela passe notamment par le maintien et le développement de l’industrie du luxe. Ces éleveurs qui produisent des fibres avec passion en produisent peu. Leurs animaux ont besoin de grands pâturages. Il n’y a pas de concentration et les productions modestes se confrontent à des élevages industriels qui produisent des tonnes de laine bon marché sur des exploitations intensives. L’industrie du luxe permet de maintenir ces traditions d’élevages parce qu’elle est encore prête à payer le prix pour que ces communautés puissent survivre. Aujourd’hui nous n’avons toujours pas d’appellation contrôlée sur les différentes laines. Nous arrivons à des situations où sur les marchés de gros, le cours de la laine industrielle va rentrer en compétition avec celui de la laine traditionnelle. Les grandes maisons ont également l’avantage de pouvoir imposer une véritable traçabilité des produits afin de leur garantir une dénomination.
Sur quels critères avez-vous choisi les différentes destinations ?
Nous n’avons bien sûr pas pu faire un catalogue exhaustif car cela était matériellement impossible. En revanche, nous avons pu traiter toutes les laines qui ont un caractère particulier. Le premier critère était que ces laines puissent être tissées. Il faut savoir que toutes les fibres ne peuvent pas être de qualité suffisante, résistance, longueur, finesse, pour être filées et tissées. Le deuxième critère a été de ne choisir que des laines légales car il existe encore aujourd’hui des animaux protégés qui sont chassés et braconnés pour leur laine.
Quel a été votre parti-pris photographique sur ce projet ?
Avec Dominic, nous voulions que ce livre soit avant tout un hommage aux éleveurs. Pour ce faire, nous avons strictement respecté les règles du reportage ethnographique. Nous n’avons fait aucune mise en scène. Tout est photographié naturellement in situ. C’est ce qui rend ce livre crédible en tant que témoignage.
Quelle suite pourriez-vous donner à cet ouvrage ?
Je pense que ce sujet ferait un très bon documentaire pour le cinéma ou la télévision. Nous voyons souvent les mannequins sur les podiums porter de beaux tissus et de beaux pulls, mais nous ne nous rendons pas forcément compte qu’il y a derrière tout cela un univers d’éleveurs, de traditions et de savoir-faire ancestral.
Propos recueillis par David Raynal
A la recherche des laines précieuses par Dominic Dormeuil et Jean-Baptiste Rabouan. Éditions Glénat, 170 p., 39,50 €