Astrid Vayson de Pradenne, 34 ans, a remporté le Jabra Ladies Open en 2018. La n°5 française au classement mondial évoque sa vie de joueuse professionnelle, ses ambitions pour 2020 et beaucoup d’autres choses. Interview.

27/09/2019. Ladies European Tour 2019. Estrella Damm Mediterranean Ladies Open, Golf Club de Terramar, Sitges, Spain. 26-29 September 2019. Astrid Vayson De Pradenne of France during the second round. Credit: Tristan Jones

Astrid Vayson De Pradenne. @ Tristan Jones

Quel bilan faites-vous de la saison 2019 ?

J’ai fini 61e à l’ordre du mérite, je maintiens ma carte pleine sur le LET pour 2020 avec une catégorie 5d. J’étais dans le dur de mars à juillet à cause d’un putting défaillant. J’ai alors fait un changement dans l’équipe qui m’entoure pour retrouver de la sérénité dans ce secteur de jeu. Suite notamment au conseil d’Emmie Peronnin, une autre joueuse du circuit, j’ai adopté le grippe pince et je revis depuis le Scottish, en août. J’ai fini la fin d’année brillamment avec une 5e place au Kenya au tout dernier tournoi. J’attaque donc 2020 avec beaucoup d’envie et d’ambition.

Le grippe pince est de plus en plus utilisé sur le circuit féminin ?

Quelques joueuses l’utilisent en tout cas, comme Céline Herbin ou l’Allemande Esther Henseleit. Au putting, je sais très bien ce que doivent faire la main droite et la main gauche. Sur le putting-green à l’entraînement ou en parcours de reconnaissance, je mets la balle dans le trou sans problème. Mais sous tension, c’est une autre histoire, ma main droite a tendance à devenir hyperactive et à faire littéralement n’importe quoi. Le grippe pince, ça été pour moi comme un reset, une remise à niveau avec de nouvelles sensations à la clé. J’étais comme une enfant qui découvre la chose, curieuse et enthousiaste. Cela m’a permis d’inhiber ma main droite et d’être beaucoup performante sous tension.

Vous avez déjà commencé la saison 2020 puisque vous êtes actuellement en Afrique du Sud…

Oui, je joue deux tournois du Sunshine Ladies Tour à Cape Town (Astrid vient de terminer 4e) et à Sun City la semaine prochaine. J’avais envie de retrouver le rythme de la compétition avant d’attaquer le début de saison du LET, en Australie mi-février. Ce n’est pas tant que le jeu se rouille à l’intersaison, j’ai surtout besoin jouer au golf avec une carte de score dans la poche, c’est une autre dimension de mon sport. J’ai envie de ressentir cela pour arriver sereine en Australie.

Que pensez-vous du nouveau calendrier du LET, qui propose 24 tournois, dont 15 en Europe cette saison ?

C’est un rêve d’avoir plus d’opportunités de jouer en Europe continentale et de voir le golf européen se développer sous l’impulsion de ce nouveau partenariat LPGA-LET. Le LPGA a besoin d’un vivier de joueuses européennes pour attirer une nouvelle audience et négocier au mieux ses droits télévisés. Certains pensent que les joueuses asiatiques ne sont pas toujours très expressives et charismatiques et que des têtes d‘affiche européennes pourront drainer plus d’audience. C’est gagnant-gagnant pour tout le monde en fait.

Quels sont vos objectifs pour cette saison ?

Intégrer le Top 25 du LET pour disputer le British et rejouer des Majeurs, comme en 2018. J’aimerais refaire l’Evian Championship cette année, mais pour cela, il faut que je gagne un tournoi ou que je sois dans le top 5 du ranking.

Quel résultat aviez-vous obtenu en 2018, à Evian ?

(Rires) Je réponds toujours que j’ai joué au même niveau que Laura Davies (les deux joueuses avait raté le cut à +12). J’étais émue cette semaine-là et malgré la présence de mon coach, je me suis perdue dans mon stress.

Quel est votre point fort au golf ?

J’ai un driving très solide. Dans les mauvais jours, je touche quand même une dizaine de fairways. Je tape aussi relativement loin. D’après les stats, je suis aux alentours de la 50e place, mais je sais que les filles pipotent un peu. On fait nous-mêmes notre relevé statistique, à chaque fois sur 2 des 18 trous, et je vois bien où je me situe en réalité. Mon autre point fort, c’est sans aucun doute le chipping. Quand j’arrive sur la balle, ma petite voix intérieure me dit : « Come on Chipping Queen, ça rentre ». (rires)

Y a t-il des compartiments de votre jeu que vous souhaitez améliorer?

Mon score sur les par 5. L’an dernier, je gagnais 0,2 points en moyenne, alors que les top joueuses du LET gagnent 0,8 points. Les par 5, c’est la clé chez les pros pour obtenir des résultats. Cette année je me suis promise d’avoir cette conscience aiguë du par 5 chaque fois que je plante mon tee. Et il y a mon putting évidemment. En 2019, j’avais une moyenne de 31,6 putts par tour et je voudrais passer en-dessous des 30 en 2020. J’ai un petit « carnet de confiance », en fait un simple carnet sur lequel je note et décris mes plus beaux putts : que ce soit une ficelle de 11 mètres pour birdie, un putt de 3 mètres en descente avec un gros break pour sauver le par, etc.

En parlant de carnet, sur l’étui de votre carnet de parcours, je crois savoir qu’il y a un requin et un crocodile. Pour quelles raisons ?

Le requin, ce n’est pas une référence à Greg Norman. J’ai fait beaucoup de plongée sous-marine ou en apnée et je trouve que le requin est un bel animal, gracieux, athlétique. Il change de vitesse et de direction, comme nous au golf. Quant au crocodile, c’est un animal qui mord, qui ne lâche pas sa proie. J’aime bien cette idée qu’il ne faut jamais rien lâcher. Au golf, on dit souvent qu’on n’a pas le droit à l’erreur, mais c’est tout le contraire je trouve. Le golf, c’est une rédemption permanente, le parcours vous offre des milliers de chances de vous refaire. On peut toujours rentrer un long putt ou sa sortie de bunker, rien n’est jamais complètement perdu. Il y a des dizaines de manières différentes de faire un birdie ou de sauver un par.

Vous avez suivi une préparation mentale à l’intersaison ?

Oui. J’ai même fait plusieurs séances en janvier avec un préparateur mental, Fred Cliquet, qui pratique l’hypnose. Cela me permet d’avoir des images refuges qui reviennent sur le parcours quand la tension monte, je fais un travail respiratoire aussi. Et puis je lis et relis Bob Rotella.

Vous avez de nombreuses lectures semble-t-il. Sur ce fameux carnet dont on parlait tout à l’heure, il y a aussi cette citation du philosophe suisse Alexandre Jollien, qui reprend une formule de Spinoza : « Bien faire et se tenir en joie ».

Oui, Alexandre Jollien a écrit d’ailleurs un très beau livre, Éloge de la faiblesse. La faiblesse a aussi ses vertus, surtout dans un milieu comme le mien, très axé sur la performance. Je me nourris de ces lectures par rapport à ce que je fais sur le parcours. Après tout, on pousse juste une balle dans un trou, c’est ridicule dans l’absolu. J’aime aussi beaucoup le poète autrichien Rilke. Quand je lis Lettre à un jeune poète, j’ai l’impression qu’il s’adresse à moi. Je me pose beaucoup de questionnements sur mon existence, ce que j’en fais. Sur ce que je sacrifie en tant que golfeuse professionnelle par rapport à ma vie sociale ou amoureuse, la maternité…et ces lectures nourrissent mon âme.

Quand on est golfeuse professionnelle, on parvient à dissocier la performance du plaisir ?

C’est difficile de dissocier les deux. Une grande partie du plaisir est liée à la performance. Il s’agit aussi de donner un sens à ce que l’on fait sur un parcours. Pourquoi plante-t-on un tee au départ ? On peut apprécier la qualité de l’herbe, l’interaction avec les spectateurs, un environnement naturel même s’il est façonné par la main de l’homme. Il y a aussi beaucoup de temps morts au golf, ce qui permet de nourrir mes aspects contemplatifs, ma religiosité. Mais aussi mes aspects créatifs, avec la réflexion sur la façon dont on va jouer son prochain coup. On a le temps de se poser beaucoup de questions au golf.

Avant de découvrir le golf assez tard, à 15 ans, vous jouiez au tennis en compétition…

Oui, à 14 ans, j’étais classé 5/6. J’ai repris un peu en 2017 après une blessure à l’épaule. La FFT m’a assimilé 15/5 et j’en ai profité pour faire un match par équipe et m’inscrire à trois tournois. J’ai fait service-volée, mes adversaires n’ont pas l’habitude d’affronter ce type de joueuse, qui fait 1,82 m ! Je me suis bien amusé, j’ai gagné jusqu’à 15/3. Le sport est très important pour moi, je bénis mes parents de m’avoir mis au tennis très jeune. Je pense que le sport génère de belles choses chez les êtres humains, cela fait des adultes équilibrés.

Quel est votre pire souvenir de golfeuse ?

Un tournoi en Suède, sur le Letas en 2015. Je ne parvenais tellement pas à gérer mes émotions que je vomissais de la bile sur le parcours ! J’ai même demandé une assistance médicale pendant ma partie. J’étais dans un tel état que j’ai aussi prévenu les arbitres pour qu’ils ne s’inquiètent pas au cas où j’aie du retard au recording.

Et votre meilleur souvenir ?

Ma victoire au Jabra Ladies Open à Evian, en 2018. Vous n’imaginez pas ce que j’ai pu ressentir quand j’ai rentré mon putt en play-off, face à l’Allemande Karoline Lampert. Un sentiment de plénitude. Un putt pas évident à rentrer, de 3 bons mètres en descente et qui breakait pas mal. J’ai à peine poussé la balle et j’ai eu peur de ne pas en avoir mis assez. Mais elle est rentrée in extremis par le bord du trou !

Quels sont les joueurs que vous appréciez ?

J’aime bien les vidéos complètement décalées de Ben Crane.

https://www.youtube.com/watch?v=pX8HdgiXth8 HYPERLINK

Bubba Watson aussi, il a un swing atypique, comme moi (rires). C’est un joueur très créatif, un peu à la marge. J’aime bien également Ian Poulter, surtout quand il sort son point rageur. On m’a déjà dit que je célébrais parfois trop fort mes putts rentrés, du genre « t’as fait birdie au 5, on t’a entendu au 7 ». Mais on m’a aussi dit « ça m’a boosté de t’entendre ». Il y en a que ça dérange et d’autres que ça peut motiver.

Et chez les femmes ?

Annika Sorenstam. L’an dernier j’ai participé à La Reserva de Sotogrande Invitational en Espagne et elle était présente. Elle a fait un clinic et j’ai été la voir, en m’asseyant au milieu des gamins. Je lui ai posé une question sur ce qu’elle avait à l’esprit quand elle se mettait à l’adresse au putting et elle m’a répondu : « Quand je suis au-dessus de la balle pour putter, je l’entends déjà tomber. » Le dimanche du tournoi, j’ai même fait un trou en un et elle est venue me féliciter !

C’était votre premier trou en un ?

J’en avais déjà fait un avant en Suède, mais c’était lors d’un parcours de reconnaissance et j’étais toute seule. Pendant longtemps, Omega sponsorisait les trous en un, mais en Espagne ce n’était plus le cas. Du coup, je n’ai rien eu, peanuts. (rires)

Quels sont vos parcours préférés ?

Le Renaissance en Écosse, au sud-est d’Edinbourg. Dar Es Salam à Rabat au Maroc. Il y a des grands chêne-lièges magnifiques, je touche parfois leur écorce. L’entretien du parcours est parfait. Il y a aussi Evian évidemment, avec le lac, c’est juste énorme. L’atmosphère y est très particulière, tu sais tous les grands noms qui ont marché sur ces greens….

Pour conclure, quel est le défaut le plus courant chez les joueurs amateurs selon vous ?

Il y en a tellement (rires) ! Le plus marquant et le plus facile à corriger, c’est le putting. Pourtant, en terme de difficulté physique ou cardiovasculaire, ce n’est rien le putting. C’est vraiment le truc où les amateurs peuvent gagner plein de points, mais ils ne s’entraînent jamais, ou trop peu. Ils ont de vraies lacunes, notamment sur le dosage, et ils s’agacent beaucoup trop vite.

Propos recueillis par Franck Crudo

https://www.astridvaysondepradenne.com/