Posté le 11 décembre 2020 dans Actualité.
Joanna Klatten : « Je drivais seulement 2 yards en dessous de la moyenne des joueurs du PGA Tour »
Pour Swing Féminin, Joanna Klatten revient sur sa carrière. La joueuse de Saint-Cloud, aujourd’hui âgée de 35 ans, nous révèle notamment comment elle est devenue la numéro 1 en distance au driving sur le LPGA il y a quelques années.
Bonjour Joanna. Vous avez débuté à l’âge de 8 ans au golf de Saint-Cloud, où vous avez remporté en 2006 la Coupe Cachard, établissant même le record du parcours avec une carte de 63. Vous détenez toujours le record ?
Je l’ai toujours officiellement, mais je sais qu’une grande joueuse amateur, Amandine Vincent, a fait 62 depuis que le parcours a été modifié et est devenu un par 71.
Vous avez étudié à l’université de Géorgie et en Caroline du Sud. Les Etats-Unis, c’est un passage obligé pour une jeune golfeuse qui veut percer au plus haut niveau ?
Oui, car c’est une connerie d’abandonner complètement les études. On peut jouer jusqu’à 45 ans au haut niveau, même plus. La semaine dernière, une joueuse de 43 ans a d’ailleurs gagné sur le LPGA (Angela Stanford au Volunteers of America Classic au Texas). Mais on n’est jamais à l’abri d’une blessure au cours d’une carrière. Les universités françaises ne sont pas aménagées pour le haut niveau, on n’a pas assez de temps pour s’entraîner. Aujourd’hui toutes les filles sortent des universités américaines, à part les Coréennes. Là-bas, il y a des structures de dingue, le championnat universitaire est médiatisé, il y a beaucoup de tournois…
Cette année, même si la crise sanitaire a amputé une partie de la saison, les tournois que vous avez disputés se comptent sur les doigts de la main. Pour quelles raisons ?
Cette saison ils ont gelé les classements et je n’ai que ma carte pour le Symetra, vu que j’ai perdu ma carte sur le circuit européen l’an passé en ne jouant que deux tournois. Du coup, il n’y avait pas beaucoup d’intérêt pour moi de jouer et de me rendre aux Etats-Unis, surtout avec la crise du Covid. J’en ai profité pour préparer l’après-carrière, je me suis inscrite au BPJEPS (brevet professionnel de la jeunesse, de l’éducation populaire et du sport) pour me préparer à enseigner.
Vous allez tout de même jouer sur le circuit l’an prochain ?
Je continue à pas mal m’entraîner. Je vais voir en fonction des calendriers, il est possible que je fasse la tournée sud-africaine et le Jabra pour pouvoir jouer Evian. Je devrais jouer jusqu’en juin prochain et voir à ce moment-là où j’en suis.
Quel type d’enseignante serez-vous ?
Je n’aime pas l’enseignement trop basé sur la technique. On ne peut pas penser à plus d’une ou deux clés techniques pendant le swing. Il faut s’adapter à son élève en fonction de ses limites physiques, car tout le monde n’a pas 18 ans, laisser faire le naturel, diagnostiquer ce qui ne va pas dans le dynamique et le régler par le statique, c’est-à-dire le grip, la posture, l’alignement… Par expérience, on ne peut pas imposer un style à un joueur. Cet été, je vais partir à Dallas et me former avec Randy Smith. J’aime beaucoup sa philosophie, c’est très individualisé, il ne dit jamais la même chose selon ses élèves, j’ai vu comment il faisait avec Scottie Scheffler ou Ryan Palmer.
Le grip, c’est quelque chose de fondamental selon vous ? Parce que c’est peut-être l’une des choses les plus difficiles à changer pour un joueur…
C’est quand même important d’avoir un bon grip. Une main très faible ce n’est pas possible, mais le reste ne me dérange pas. De même, il faut que le grip soit dans les doigts, pas dans la paume. Et la main gauche et la main droite doivent travailler ensemble, on ne peut pas avoir une main forte et une main faible par exemple. Je travaille beaucoup sur le grip depuis un an et je trouve que mes mauvais coups sont moins mauvais qu’avant.
Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
Peut-être ma 6e place à Hawaï en 2016. Je rentre un putt de 3 mètres le dernier jour sur le 18 pour faire 6e, ce qui est mon meilleur résultat sur le LPGA. Il y avait un gros champ de joueuses avec des filles comme Lydia Ko par exemple, et c’est la semaine la plus solide de ma carrière, j’ai dû joué -3, -4 tous les jours. La plus solide mentalement aussi. J’étais calme, posée, positive, bien dans ma tête… Hawaï, c’est le plus bel endroit au monde, on est bien logée, on mange très bien ce qui est important pour moi (rires), il y a de belles randonnées à faire, on peut se vider la tête facilement en sortant du parcours. Sinon, il y a aussi ma 3e place l’an dernier au Lacoste Ladies Open de France. Je partageais la dernière partie avec Nelly Korda et Céline Boutier, avec qui je m’entends très bien, il y avait beaucoup de monde pour nous encourager… Et puis il y a ma victoire à Sydney en 2014 sur le circuit australien. C’est le top 3 de mes meilleurs souvenirs.
Le putt de 3 mètres que vous rentrez sur le 18 à Hawaï vous a fait gagner beaucoup d’argent. Quelles clés mentales utilisez-vous quand vous avez un putt sous pression à jouer ?
Je mise beaucoup sur la respiration, je reste dans le présent, j’essaie de bien visualiser le point d’entrée dans le trou et de me détacher complètement du résultat. En fait, plus il y a de l’adrénaline et mieux je joue. Je n’ai jamais été une très bonne joueuse à l’entraînement, il manque l’étincelle, ma capacité de concentration est moindre.
Le mental, c’est votre point fort au golf ?
Peut-être. Je parviens à retourner des situations mal embarquées dans mes parties, je ne lâche pas facilement, je gère bien mes émotions. Après, il y a aussi mon driving puisque je tape fort. Même si avec mes blessures, je tape moins fort qu’à une époque. Je dois être dans le top 20 cette année, alors que l’an dernier j’étais 6e et même première sur le LPGA en 2015 et 2016.
Cela signifie que dans le monde du golf féminin, personne ne drivait aussi loin que vous ?
Oui, à part certaines joueuses qui participaient à des concours de driving, mais qui n’étaient pas sur le circuit.
Vous n’avez pourtant pas un physique de déménageuse…
Non, mais j’étais tout en muscle. J’ai d’ailleurs perdu 7 kilos depuis que j’ai arrêté la musculation.
Quand on est la plus grosse frappeuse du circuit féminin, on drive plus loin que certains hommes du PGA Tour ?
Il y a cinq ans, je drivais à 287 yards en moyenne, ce qui était seulement 2 yards en dessous de la moyenne du PGA Tour. Mais il y a une course à la puissance chez les hommes depuis quelques années. Aujourd’hui, la joueuse la plus puissante est à 291 yards de moyenne, mais l’écart s’est creusé avec la moyenne du PGA.
Cette course à la puissance pourrait arriver aussi sur le circuit féminin ?
Je ne pense pas car la plupart des femmes ne veulent pas gagner en volume, cela les bloque, elles ne souhaitent pas ressembler à des mecs. Il y a toujours des possibilités de gagner en distance sur le plan technique.
Quel est le secret de votre puissance ?
J’ai fait beaucoup d’entraînement physique. Je me situais au-delà de la 30e place en terme de distance sur le circuit européen à 26 ans, d’autant que j’ai commencé ma carrière tardivement. Je devais atteindre 210-215 mètres de portée, ce qui n’était pas grand-chose. En cinq ans, j’ai gagné 40 à 45 mètres de portée. Je travaillais beaucoup sur l’explosivité et j’en ai vraiment vu les gains.
Concrètement, en quoi consiste cet entraînement physique ?
Je cherche toujours à être le plus rapide possible sur un mouvement. Par exemple, lors des squats, j’essaie de descendre le plus lentement possible et d’être le plus rapide possible sur la remontée, rapide et rapide cela ne sert à rien. Pareil lors des développés-couchés, j’essaie de faire la montée la plus rapide possible, surtout lors de ma dernière montée, quand je n’ai presque plus d’énergie. Mon cerveau prend l’information et s’habitue à ce type de choses. Je travaille sur le côté excentrique du muscle et sur l’explosivité. Par exemple, cela ne sert à rien de courir une heure à 10 km/h, c’est plus utile de faire des séances de fractionnés de 20 minutes, avec 30 secondes de course rapide et 30 secondes de récupération à chaque fois.
On a évoqué vos points forts. Et votre point faible ?
Le chipping. Je n’ai pas assez mis l’accent dessus quand j’étais jeune. Lorsque j’ai débuté sur le LPGA, c’était une faiblesse mais cela ne m’obsédait pas car je ne ratais pas beaucoup de greens et si j’avais une balle en bord de green, je puttais. C’est sans doute cela qui m’a empêché de gagner car je ne faisais pas assez souvent chip-putt et cela devait me faire perdre 5 points par tournoi en moyenne.
Idem pour les souvenirs. Après le meilleur, quel est le pire ?
(Elle réfléchit) Je n’ai pas un souvenir précis, j’ai cette faculté à oublier le négatif, je suis quelqu’un de tourné vers l’avenir, qui ne pense pas trop au passé. Bon, le British ne m’a jamais réussi car je mets pas mal de spin dans la balle et du coup j’ai du mal à la contrôler dans le vent… Ah si, j’ai un souvenir qui m’a marqué. En 2016 je jouais à Kingsbarns, qui est mon links préféré, et j’avais un caddie avec qui je disputais mon second tournoi. On avait joué le Scottish juste avant et on avait fait un bon résultat. Au bout du 7e trou, il m’a abandonnée car il avait la gueule de bois, je ne l’ai jamais revu. Deux semaines après, j’ai appris qu’il étais mort d’un arrêt cardiaque.
Vous avez déjà réussi un trou en un ?
J’en ai fait six, dont cinq en tournois et sur quatre circuits différents : deux sur le LPGA, un sur le LET, un sur le LETAS et un sur le Tour australien. Celui qui m’a le plus marqué, c’est celui que j’ai réussi au premier trou du dernier tour à Chantaco lors de l’Open de France, en 2015 je crois.
Quelle est la joueuse ou le joueur que vous admirez le plus ?
Annika Sörenstam et Tiger Woods.
Ce n’est pas très original…
Oui je sais (rires). Mais j’admire les joueurs qui travaillent plus que les autres et qui sont prêts à tout sacrifier. Je suis admiratif devant cette passion et cette ardeur au travail. Au tennis, même si j’adore Federer, je suis plus Nadal que Federer. Ce sont des champions qui sont habités par leur sport. Conjugué à du talent, cela donne des n°1 mondiaux.
En dehors du golf, qu’aimez-vos faire ?
J’adore regarder le sport à la télé et surtout la bonne bouffe ! Si je n’étais pas passionnée par cela, j’aurais plus d’argent sur mon compte (rires). J’adore découvrir les bons restaus, c’est pour ça que j’aime la France.
Propos recueillis par Franck Crudo