Posté le 28 juillet 2020 dans Actualité.
Anne Marie Palli : « Durant ma carrière, c’était un peu tout ou rien »
Anne Marie Palli est l’une des quatre joueuses françaises à avoir gagné sur le circuit américain et vit à Scottsdale, en Arizona, depuis vingt-quatre ans. La native de Ciboure, au Pays Basque, évoque le circuit féminin et revient sur sa belle carrière. Interview.
Bonjour Anne Marie, vous vivez depuis quarante ans aux Etats-Unis et depuis 1996 en Arizona. Que faites-vous désormais ?
En ce moment pas grand-chose (rires) ! J’aime encore la compétition et je joue sur le circuit senior, même si dans ma tête j’ai toujours 20 ans et que cette année ils ont tout annulé à cause de la pandémie. J’aime enseigner, transmettre, voir les gens se faire plaisir au golf. Le golf, c’est un super jeu, il n’y a pas beaucoup de sports comme celui-ci : on peut y jouer toute seule ou avec des amis de niveaux différents, et on peut y jouer pendant toute sa vie. Tenez, demain je joue avec Bill Johnston, l’architecte du golf où j’ai gagné mon premier tournoi LPGA, en 1983 à Phoenix. Il a 95 ans…
Vous êtes l’une des rares joueuses Françaises avec Catherine Lacoste, Patricia Meunier-Lebouc et Céline Boutier à avoir gagné sur le circuit américain. On vous en parle encore souvent ?
Je suis même la première professionnelle européenne à avoir gagné sur le LPGA, car Catherine Lacoste avait remporté l’US Open en tant qu’amateur. Mais bon, on ne m’en parle plus vraiment. Il y a d’autres joueuses maintenant, de nouvelles générations et on est davantage focalisé sur ce qui est récent, ce qui est bien normal.
Vous avez gagné à deux reprises sur le LPGA, de deux manières différentes. D’abord à Phoenix (Arizona) en 1983 avec 7 coups d’avance…
C’était un rêve pour moi de gagner aux Etats-Unis. Mais l’année d’avant ma première victoire, en 1982, j’avais déjà gagné 9 tournois sur le mini Tour, l’équivalent du Symetra Tour aujourd’hui, et j’avais terminé à la première place cette saison-là. J’ai eu un peu la même trajectoire que Perrine Delacour en fait. On a toutes les deux commencé sur le circuit américain, avant de perdre notre carte et d’y revenir ensuite. Comme disent les Américains : « Winners never quit, quitters never win ! » (Ceux qui gagnent n’abandonnent jamais, ceux qui abandonnent ne gagnent jamais). Durant ma carrière, je n’ai jamais été un modèle de régularité, c’était un peu tout ou rien. Tout le contraire d’une joueuse comme Karine Icher par exemple, à qui je souhaite de gagner un jour aux Etats-Unis, elle le mérite.
Neuf ans plus tard, vous gagnez à Atlantic City (New Jersey), en play-off face à une certaine Laura Davies !
Oui, il s’est passé quelque chose pour moi là-bas. Le dernier jour, je partage la partie avec Laura Davies et sur le trou 18, j’ai un putt de 4 mètres pour aller en play-off. A ce moment-là, je n’ai jamais pensé au play-off, j’étais uniquement dans le moment présent, pas dans le futur… et j’ai rentré le putt. C’est tellement important d’être concentré sur l’instant présent dans ces cas-là, mais tellement difficile aussi. Certains jours, c’est plus facile à faire que d’autres, on ne sait pas trop pourquoi. Tiger Woods et Annika Sörenstam avaient cette capacité-là. Les pensées et le corps ne vont pas à la même vitesse, il faut réussir à les mettre en harmonie.
Et puis vous battez Laura Davies en plus !
Elle n’était pas contente ! Cette année-là, elle perd deux fois en play-off, contre moi et contre Nancy Lopez. Je me souviens qu’elle avait déclaré, en rigolant, que c’était une humiliation pour elle de perdre contre une Mexicaine et une Française (rires). Laura Davies, elle était hors norme. Elle faisait l’opposé de ce que tout le monde faisait et elle gagnait, car elle se connaissait très bien. Je suis sûre que durant le tournoi, elle restait jouer au casino jusqu’à 2 heures du matin (rires). Laura, je la croise encore de temps en temps sur le circuit senior.
Quel est votre plus mauvais souvenir ?
Quand c’est trop douloureux, j’ai tendance à l’enfouir dans mon inconscient. Vous savez, pendant ma carrière, j’ai été mon propre coach, mon propre psy, mon propre nutritionniste. Je croyais même parler anglais avant d’arriver aux Etats-Unis (rires) ! L’adaptation n’a pas été facile au début, notamment au niveau de la nourriture, moi qui venait d’une famille de gastronomes en plus…
Vous aviez la réputation d’avoir une grosse frappe de balle. C’était votre point fort ?
C’est vrai que je tapais plus loin que la majorité des joueuses. Mais mon point fort, c’était plutôt mon petit jeu, c’était quelque chose d’inné, je n’avais pas trop besoin de le travailler. Ma force de caractère aussi. Je lisais beaucoup de livres sur le mental, l’ésotérisme, la philosophie et j’essayais d’appliquer ça au golf. Ma faiblesse, c’était sans doute l’irrégularité de mon swing, de ma frappe de balle.
Hormis la puissance, qu’est-ce qui différencie le plus le circuit féminin et masculin selon vous ?
Pendant longtemps, on a remarqué que les hommes puttaient mieux que les femmes, mais ça tend à se rééquilibrer depuis que l’on comprend mieux les mécanismes à l’œuvre au putting je trouve. La principale différence, elle est sur le plan mental. Les hommes ont plus facilement confiance en eux. Même s’ils n’ont pas le « skill », ils ont le caractère. Et puis, les joueuses professionnelles doivent venir aux Etats-Unis si elle veulent acquérir un statut mondial.
Vous vous réunissez tous les trois mois avec Catherine Lacoste, Patricia Meunier-Lebouc et Nathalie Jeanson, pour déterminer quelles sont les joueuses que vous allez aider financièrement dans le cadre du fonds de dotation Porosus*. C’est important pour vous de soutenir le golf féminin en France ?
Bien sûr ! Regardez les meilleurs joueurs du monde, ils ont souvent été aidés. Principalement, il faut avoir un bon coach technique et un bon coach mental. Après, il faut aussi conserver une bonne condition physique. Je n’aime pas entendre dire que les Françaises ne s’entraînent pas assez, c’est faux. Cela fait plus de quarante ans que je suis aux USA et il y a sans doute une différence culturelle entre les Etats-Unis et la France. Chez nous, on a tendance à critiquer, à être sceptique ou négatif. Les Américains sont bien plus positifs, ils y croient davantage, c’est dans leur mentalité.
En tant qu’enseignante, vous êtes adepte de la « wright balance technogy ». De quoi s’agit-il ?
L’idée c’est de faire des exercices et de posséder un swing qui permettent de garder la symétrie de votre corps. On prend vos mesures, votre poids, on analyse votre swing, on met ça sur un ordinateur et on voit quelle est votre tendance. On détermine ensuite quel est pour vous la posture, le stance, le grip le plus adapté et le plus équilibré afin d’être plus long, plus droit et mieux physiquement. J’aimerais faire connaître cela en France l’année prochaine. Beaucoup de joueurs aujourd’hui, y compris chez les jeunes, passent des heures à faire de la musculation alors que ça ne fait qu’accentuer les déséquilibres corporels et donc les risques de blessure. Quand je vois Jason Day ou même Tiger Woods avoir des difficultés à se baisser pour ramasser la balle, cela me fait mal au cœur.
Comment avez-vous débuté le golf ?
A l’âge de 4 ans, avec mon grand-père et mon père, qui était prof de golf. Je l’ai ensuite suivi à Etretat, j’étais 28 de handicap à 9 ans. On a toujours habité dans un golf. A l’école, avec mon accent du sud-ouest, cela ne se passait pas très bien. Du coup, mes parents m’ont envoyé en pension à Saint-Jean-de-Luz, entre 8 ans et 12 ans. Finalement, cela m’a préparé à vivre seule, cela m’a été utile pour ma carrière professionnelle ensuite.
Mais quand vous étiez en pension, vous pouviez jouer au golf ?
Oui, le week-end… si je n’étais pas collée (rires).
Vous avez déjà réussi un trou en un ?
J’en ai fait 10, le dernier l’an passé. Mon père avait réussi un albatros, 2 sur un par 5, c’est encore plus difficile je trouve.
Vous avez fait 10 trous en un ? C’est énorme !
Vous savez, le monsieur de 95 ans avec qui je joue demain en a fait 25. J’ai encore trente ans pour le rattraper (rires).
Catherine Lacoste nous confiait récemment ne pas en avoir réussi un seul…**
Ah oui ?! Catherine, je me souviens quand elle a gagné l’US Open en 1967, j’avais 12 ans. C’est elle qui m’a donné envie de jouer aux Etats-Unis. Elle nous a montrées, à nous les Françaises, que c’était faisable. Un peu comme Ballesteros a montré qu’on pouvait battre les Américains, chez les hommes.
Elle a aussi confié qu’elle n’échangerait pas son US Open contre un trou en un…
Alors que moi j’échangerais bien un de mes trous en un contre un US Open (rires) !
Y a t-il une joueuse que vous admiriez durant votre carrière ?
Joanne Carner. C’est marrant parce que je viens de publier une photo avec elle et sa sœur, sur ma page facebook. Je me souviens de sa première victoire à l’US Open, à Chicago (en 1971). J’aimais sa façon de jouer et sa personnalité. Elle ne se cherchait jamais d’excuses quand elle jouait mal. C’était quelqu’un de très drôle, qui avait toujours des anecdotes à raconter. Elle est passée pro à 30 ans seulement et est ensuite entrée dans le Hall of Fame !
Votre parcours préféré ?
En France, j’ai rejoué Morfontaine il y a quelques années, c’était fabuleux. Le cadre, l’architecture du golf… il y a quelque chose de presque métaphysique là-bas. J’aimais beaucoup aussi Saint-Cloud, Chantilly, la Boulie… Ce sont de vieux parcours avec une histoire et je les apprécie encore mieux maintenant que lorsque j’étais jeune.
Et aux Etats-Unis ?
Cypress Point en Californie, dessiné par Alistair McKenzie, l’architecte d’Augusta. Le trou 16, un par 3 de 210 mètres au dessus de l’océan, est magique.
Vous n’y avez pas fait de trou en un ?
Non (rires), et j’étais presque contente d’être sur le green. Vent contre, il faut presque sortir le driver ! Initialement, MacKenzie voulait construire un par 4 en dogleg et c’est une autre femme membre du World Golf Hall of Fame, Marion Hollins, qui l’a incité à en faire un par 3 au-dessus du Pacifique.
Quel est le défaut le plus courant chez les amateurs selon vous ?
Ils pensent très souvent qu’ils tapent la balle plus loin qu’ils ne le font réellement. Ils prennent en compte leur meilleur coup pour choisir leur club et sont généralement trop courts. Et ils ne s’entraînent pas assez au petit jeu alors que les statistiques montrent que 70 % du temps, on joue des coups de moins de 100 mètres.
Propos recueillis par Franck Crudo
Anne Marie Palli
* https://www.fonds-porosus.org/
** lire l’article en référence
Catherine Lacoste : « Je sortais souvent mon fer 1 du sac quand il y avait du vent »