Posté le 20 décembre 2019 dans Life Style.
Saint Denis Lalanne, royal et ancien…
Par Nicolas Jeanneau
Formidable écrivain sportif, qui nourrissait une passion aussi brûlante pour la petite balle blanche que pour le ballon ovale, le « Dab’ » (ainsi avait-il été surnommé quelques-uns de ses amis champions, Yannick Noah, notamment) venait d’être primé par l’Académie française pour son dernier roman, au titre si émouvant, « Dieu ramasse les copies », sorti en avril 2019 chez Atlantica…
L’ouvrage avait déjà été récompensé par le jury littéraire des Hussards, au printemps dernier, puis par le Prix Lamartine des départements de France, en octobre. Malheureusement, « le Seizième homme du Quinze de France » n’aura pas eu la joie de se rendre sous la Coupole pour la séance annuelle de l’Académie, où il devait être honoré par les Immortels, une première pour un journaliste sportif français.
Plume star de « L’Equipe », au même titre que son grand ami Antoine Blondin, Denis Lalanne officia près de quatre décennies au sein du quotidien sportif. S’il prit officiellement sa retraite en 1991, il demeura, quelques saisons supplémentaires, un envoyé très spécial du journal lors du Grand Chelem de golf.
Dès le début des années 1970, Denis célèbra les plus vénérables links accueillant le British Open et cet autre Eden Park qu’était pour lui Augusta National. Le printemps revenu, il retrouvait en Georgie ses amis de la presse américaine, Furman Bisher et Loran Smith.
Surnommés les Trois Mousquetaires, ces chroniqueurs de haut vol et hommes de l’art, avaient pris l’habitude de vivre ensemble les plus grandes épreuves du calendrier, partageant le toit, le pain, le vin et quelques grandes émotions. Comme cet inoubliable dimanche 13 avril 1986, où Jack Nicklaus remporta, à 46 ans, sa sixième veste verte du Masters, et porta à dix-huit, record inégalé à ce jour, son total de victoires majeures.
Auteur du « Grand Combat du Quinze de France », livre-culte retraçant l’épopée sud-africaine de la bande de Lucien Mias qui battit les Spingboks en 1958, et d’une quinzaine d’autres ouvrages, Denis Lalanne offrit à ses lecteurs le premier roman français entièrement consacré au golf, en 1995.
Avec l’aimable autorisation de sa fille Laurence, à qui nous adressons, une fois de plus, nos plus sincères condoléances, nous vous offrons quelques extraits de ce « Long Dimanche à la Campagne » (publié par Robert Laffont et malheureusement épuisé), ainsi que quelques autres, tirés de son essai « Trois Balles dans la Peau » (La Martinière, 2011), ou de « Golf, le roman de l’année », chronique des quatre levées du Chelem, paru chez Solar fin 1987. Tout l’esprit, tout le talent et la sensibilité de Denis transparaissent dans ces morceaux d’anthologie consacrés au noble et ancien jeu.
Golf 1987, le roman de l’année
« Raconter le grand golf et ses personnages, le golf des tournois majeurs et ses héros lyriques, ses coups historiques, c’est s’engager à ne tromper personne et à présenter de ce jeu la version la plus enthousiasmante, la plus convaincante aussi, car l’histoire du British Open remonte à 1860, celle de l’US Open à 1885, et ça, ce n’est pas un caprice d’époque, c’est une tradition, une vibrante saga sportive, l’une des rares, sans doute, qui soient parvenues jusqu’à nous, avec un sens absolument intact de l’honneur, de la galanterie, du respect du jeu et de l’adversaire, également en toute intelligence entre le joueur et le spectateur, celui-ci assez pratiquant lui-même pour ne pas conspuer un putt manqué. »
« Le parcours est toujours le héros premier d’un grand championnat de golf, aussi vrai que le gazon, par exemple, est le prince chéri de Wimbledon, le maître de tout, du tournoi et de ses prétendants. On parle du parcours comme d’un vivant personnage. On l’appelle « Le Monstre », comme celui d’Oakland Hills, à Detroit, ou bien « The Champion » comme celui de Palm Beach Gardens, en Floride. On le vénère ou on l’insulte, mais il est au-dessus de toute familiarité et de cette tendresse que l’on a pour sa balle en plein vol : « Come on ball , honey ! Vas-y ma cocotte. » C’est que la balle est une amie, quand le parcours, au contraire, est l’ennemi, un redoutable et magnifique ennemi pour tout sportsman digne de ce nom. Avec lui, le dialogue évoque plutôt celui du « Vieil Homme et la Mer » : « Je te respecte Poisson, t’es un grand poisson, mais j’taurai…. »
Un Long Dimanche à la campagne
« Au soir du deuxième tour, saoulés d’images, d’émotions et de vent, ils s’apprêtaient à quitter les lieux, lorsque passant devant le champ d’entraînement, ils eurent la surprise d’y découvrir Jack Nicklaus tapant des balles à n’en plus finir. La dernière partie était rentrée, le fusain du crépuscule estompaient les lignes des crêtes, les lumières miroitaient aux fenêtres du club-house et aux lustres munificents de la tente du Royal and Ancient de St. Andrews, le tout-puissant gouvernement du jeu. Des choeurs éraillés s’élevaient d’une tente voisine, qui était celle d’une firme de champagne. Des policemen d’un coffrage imposant relevaient avec des indulgences de mères, pour les protéger de l’humidité qui montait du sol et les asseoir sous les arbres, quelques buveurs qui avaient trop présumé de leur propre tonnage. L’ombre tombée du ciel jetait un voile amical sur ces moments d’abandon quand le joueur le plus titré de tous les temps travaillait encore comme un forcené au practice. »
« L’Amiral Nelson, le Dr Thomas Arnold, Rudyard Kipling, Baden-Powell, Churchill, Montgomery et les autres, sans oublier la longue barbe de Tom Morris Sr et la pipe d’Harry Vardon, pères des champions modernes, on croirait qu’ils sont tous là, alignés derrière la baie vitrée du club-house, détenteurs de la conscience du vieil empire, de la science du thé, du whist de la banque et du sport, de la mère et du gazon, pour mesurer l’indignité du joueur au départ de St. Andrews Old Course. C’est la minute écrasante où l’imprudent échangerait volontiers sa place contre un dix-neuvième trou pour s’y soustraire à la vue des immortels. »
Trois Balles dans la peau
« Le commerce de la gloriole ne fait pas dans la nuance. Il n’est plus de but en football qui ne soit « exceptionnel », de champion qui ne soit « immense », de star qui ne soit « superstar » , de match qui ne soit « de folie ». Il est aussi des tournures désormais très usitées, comme « extraterrestre » ou « galactique ». Dieu du ciel ! En guise de congratulation, que va-t-il rester pour les champions à venir ? On nous a abreuvés en 2009 de « Federer meilleur joueur de tous les temps » pour sa première victoire à Roland-Garros (bien opportune pour faire oublier l’élimination de Nadal que les mêmes nous annonçaient invincibles), non sans saluer la présence dans les tribunes de Björn Borg, « avant qui (je cite) le tennis n’était qu’un sport confidentiel ». C’est surtout vrai si l’on mesure le mérite à l’intensité du tintamarre (…).
Le mélange des temps est aussi casse-gueule que le mélange des genres. Raymond Kopa, prophète de Platini et de Zidane, m’a juré qu’il n’avait jamais joué avec un footballeur plus éblouissant que ce Marocain sans âge – mais à coup sûr de plus de 40 ans – qui fut son partenaire en une occasion qu’il n’a jamais oubliée. Le nom de ce joueur : Larbi Ben Barek ! La « Perle noire » d’avant-guerre ! Simplement Ben Barek jouait au football comme Cerdan de son gauche et Django de sa main blessée.
Sans remonter si loin, le British Open de golf nous a fourni en 2009 une raison aveuglante de douter du titre de plus grand joueur de tous les temps , fût-il appliqué à Tiger Woods soi-même. Un revenant présumé fourbu dans la soixantième année de son âge, Tom Watson, s’est présenté seul en tête au départ du 72e et dernier trou à Turnberry ! Depuis quatre jours, il résistait aux jeunes loups de la génération de Tiger Woods, lui-même éliminé au soir du deuxième tour. Certes, il fut pathétique de voir le vieux Tom commettre l’irréparable sur le tout dernier green. Mais on avait frôlé là l’insupportable pour les experts de la dernière heure : un sexagénaire vainqueur d’un tournoi du grand chelem au temps suprême de Tiger Woods. »