« Le golf se joue sur 14 cm, la distance entre les deux oreilles. » Cette célèbre citation attribuée à Bobby Jones résume à elle seule cette dernière édition de l’US Open, qui s’est achevée dimanche soir à Chambers Bay, dans la région de Seattle.

Jordan Spieth © GettyImage

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Qui aurait pu imaginer il y a encore quelques mois que Tiger Woods, victime de yips selon de nombreux observateurs, égraine désormais les cartes d’amateurs (80 ou plus) ? On parle ici du meilleur joueur (avec Jack Nicklaus) de tous les temps, lequel se morfond actuellement dans les profondeurs du classement des rares tournois auxquels il participe. Alors qu’il n’a même pas 40 ans. A L’US Open cette année, le Tigre a largement raté le cut et scoré +16 en deux tours. Seuls trois joueurs, dont un amateur, ont faire pire dans le tournoi.

Le golf a ceci de terrible qu’il éprouve vos nerfs en permanence, comme un trapéziste qui évoluerait sans filet. Le mental joue certes un rôle déterminant dans la plupart des sports. Mais à ce petit jeu, le golf reste hors catégorie. Prenez le tennis, un autre jeu d’adresse qui présente de nombreuses connexions avec le golf (beaucoup de joueurs de tennis pratiquent le golf et vice-versa). Avec la petite balle jaune, une partie du stress de la compétition est diluée dans la fatigue, la dépense physique. Au golf beaucoup moins. Si le cœur bat à 170, ce n’est pas parce que l’on vient de sprinter après un long échange et deux heures de jeu…

Au tennis, on peut se permettre de rater de nombreux coups et de perdre pas mal de points, tous n’ont pas la même importance. Au golf, chaque coup compte, chaque coup raté est pénalisant, chaque coup est comme une balle de match…

Et l’on n’évoque même pas les sports collectifs où une défaillance individuelle peut être compensée par le collectif. Au golf, on reste seul avec sa balle et son couteau, seul face à soi-même et au parcours…

Dimanche soir, dans le Nord-Ouest des États-Unis, l’US Open a sans doute été l’un des Majeurs les plus dramatiques de ces dernières années. Un parfait scénario pour un film… catastrophe. Ils étaient quatre détachés de la meute à l’entame du dernier tour, dont trois dans le top 10 mondial excusez du peu : Dustin Johnson, Jordan Spieth, Jason Day, avec en arbitre des débats Brendon Grace. Et durant ce long dimanche ensoleillé, tous ont craqué à tour de rôle, y compris le futur vainqueur ! C’était d’abord Jason Day qui montrait le premier des signes de faiblesse. L’Australien avait certes des circonstances atténuantes, victime de vertiges depuis le premier tour et tout proche de l’abandon le jeudi soir. Puis, c’était au tour du Dustin Johnson d’être frappé par une autre sorte de vertige : la peur de gagner. En tête avec deux coups d’avance à mi-parcours, l’Américain multipliait les trois putts et salopait une ribambelle de putts courts. A tel point que Thomas Levet, commentateur pour Canal+, s’exclamait : « il putt comme un cochon là ! »

Le jeu de massacre, lui, continuait. Coleader à trois trous de la fin, le Sud-Africain Brendon Grace drivait sa balle… le long d’une voie ferrée et déraillait à son tour, laissant ainsi un boulevard à Jordan Spieth pour la victoire finale. Sauf que le n°2 mondial manifestait lui aussi des signes de grandes nervosité depuis plusieurs trous. Échanges interminables avec son caddie – il ne manquait parfois que la tasse de thé -, routines de putting de plus en plus en plus longues et enfin… patatras, le double bogey au trou n°17. Ce qui relançait du même coup Dustin Johnson. Avec un birdie sur le par 5 du 18, le natif de Caroline du Sud pouvait accrocher le play-off. Un trou de 550 mètres qui n’avait pas de quoi effrayer l’une des plus grosses frappes du circuit. Et pour cause, deux coups énormes de Johnson lui permettait même d’atterrir à 3,50 mètres du trou avec à la clé un putt pour eagle synonyme de première succès en Grand Chelem.

On ignore ce qui s’est alors passé  dans la tête du colosse (1,95 m) américain à ce moment précis. S’est-il remémoré toutes ses occasions ratées en Majeur. Comme à l’US Open 2010, sur le mythique parcours de Peeble Beach : largement en tête le dimanche matin, il explosait en plein vol lors du dernier tour pour rendre une carte de 82. Songeait-il aussi à cet USPGA trois mois plus tard et à ces stupides 2 poins de pénalité pris pour avoir touché le sable avec son club à l’adresse. Un tournoi majeur finalement perdu de… deux points. Ou avait-il en tête le Royal Saint-George lors du British Open 2011 ? A un coup du leader Darren Clarke, sur le trou n°14, il envoyait son drive… hors limite.

Au moment de s’emparer de son putter sur le trou n°18 de Chambers Bay, Dustin Johnson connaissait-il cette cette citation d’Orville Moody, lauréat de l’US Open 1969 : «  Je n’ai jamais supporté de faire 400 m en deux coups et rater un putt d’un mètre. » Car, lui, allait faire 550 m en deux coups et prendre trois putts à 3,50 m…. rejoignant ainsi Jean Van de Velde (Carnoustie en 1999) et quelques autres dans le panthéon des plus terribles dégringolades de l’histoire du golf.

Du coup, Dustin Johnson permettait à Jordan Spieth d’écrire lui aussi son nom dans la légende. Mais plus glorieuse celle-ci. A 21 ans, le Texan devient le sixième joueur de l’histoire à remporter les deux premiers tournois majeurs la même année (Masters puis US Open) depuis Tiger Woods en 2002. C’est aussi le plus jeune joueur à remporter l’US Open depuis un certain… Bobby Jones en 1923.

Franck Crudo

* Sur le sujet du mental au golf, lire l’excellent article de Philippe Chassepot : l’ennemi intérieur.